MRC Aire Urbaine (BMH)

Publiée en 2009, une réflexion historique et politique sur le projet utopique et son dynamisme démocratique en 8 articles - article n°6.


Les Cahiers du travail social n°59-60
Les Cahiers du travail social n°59-60
L’utopie, risque et rénovation démocratique.
Faut-il pour autant condamner sans appel les utopies et leurs théoriciens pour la simple raison qu’ils rendent possible le totalitarisme par la perversion du projet utopique original ? C’est également le cas de la démocratie et, pourtant, quel démocrate aurait l’idée de rejeter le projet démocratique en déplorant qu’il permet la mise en place de régimes autoritaires ? Sur ce point une réflexion éclairante de Bronislaw Baczko répond définitivement à cette objection :
« La mise en accusation de l’utopie, sinon sa mise à mort, se fait d’une manière aussi simple qu’expéditive. L’essentiel a été dit (Abesnour, 1978) sur les arguments, a peu près toujours les mêmes, qui se retrouvent au fil des articles, des émissions de radio ou de télévision, etc. À travers l’histoire, de Platon à nos jours, il ne circulerait en réalité qu’une seule et même utopie, bref, l’éternelle utopie. Au-delà de la multiplicité des utopies, il n’existerait qu’un seul et même projet utopique qui est, par son essence même, totalitaire. Géométrie de l’ordre social, l’éternelle utopie pourchasse la fantaisie, étrangle la liberté, combat la marginalité. L’utopie, système clos et autarcique, est une machine délirante qui sert à fabriquer de la symétrie, à produire et à reproduire du même. L’Etat utopique fonctionne comme une gigantesque caserne et il demande, en plus que ce mode de vie soit accepté avec enthousiasme comme le plus collectif. L’individu est subordonné sinon à l’Etat, du moins au collectif, l’égalité tue la liberté, le bonheur individuel est sacrifié au bonheur collectif planifié par des rationalistes aberrants et démoniaques, des fous de la perfection. Comment n’y pas reconnaître l’univers totalitaire ? On s’étonnerait, tout au plus, que le charme ait pu durer si longtemps, pendant des siècles. 
[...]. Amalgamer d’une manière simpliste l’utopie et le Goulag, c’est à la fois exorciser et banaliser le phénomène totalitaire. Banaliser, car si le phénomène totalitaire nous est amené, pour ainsi dire, du fond des temps, alors quoi d’étonnant si, préparé par le travail de sape de Platon et de More, il s’est finalement imposé ? Si le « Goulag » n’est qu’un avatar du phalanstère transporté en Kolyma, alors il est un phénomène « normal », un cauchemar parmi les autres produits par des rêves fous. Du coup, le phénomène totalitaire est exorcisé par ce pseudo-débat confus et anachronique. Confus, car il fait intervenir des définitions fort diverses sinon incompatibles du phénomène totalitaire. Anachronique, car il plaque des conflits sociaux et politiques, des structures de pouvoir, des moyens de communication et des idéologies propres à notre époque, sur des réalités historiques tout à fait différentes, que ce soient celles de la Renaissance ou celles du XVIIIe siècle. Ainsi, l’assimilation, confuse et anachronique, du totalitarisme à la tradition utopique séculaire ne fait que nous décharger de cette responsabilité qui est la nôtre, celle de notre siècle, d’avoir inventé et mis en place des systèmes totalitaires
 » [Baczko, 1984, pp.128-129].
 

Lu, vu, entendu : notes militantes

par Mouvement Républicain et Citoyen le Samedi 25 Mars 2017 à 09:00


Publiée en 2009, une réflexion historique et politique sur le projet utopique et son dynamisme démocratique en 8 articles - article n°5.


Les Cahiers du travail social n°59-60
Les Cahiers du travail social n°59-60
Un projet « républicain ».
Révolution également dans le rapport à Dieu et dans l’espoir du génie humain. Utopia prend en quelque sorte la suite de l’épisode biblique de la tour de Babel. Thomas More, fervent catholique, décapité le 6 juillet 1535 pour ne pas avoir prêté le serment anti-papiste imposé par Henri VIII, son ancien protecteur, canonisé en 1935 par l’Église catholique, élabore une société qui ne doit son salut qu’à elle-même : pas d’origine mythique, pas d’intervention divine. La société utopienne doit son succès à l’intelligence et au mérite d’un roi-philosophe, Utopus, et à la sagesse du peuple qui a suivi ses préceptes. Comme dans l’épisode de Babel, le roi Utopus engage des travaux gigantesques, considérés à juste titre inhumains et irréalisables ; après avoir conquis la presqu’île d’Abraxa, il décide d’en faire une île :
« Dès que la victoire l’eut rendu maître de ce pays, il fit couper un isthme de quinze mille pas, qui le joignait au continent ; et la terre d’Abraxa devint ainsi l’île d’Utopie. Utopus employa à l’achèvement de cette œuvre gigantesque les soldats de son armée aussi bien que les indigènes, afin que ceux-ci ne regardassent pas le travail imposé par le vainqueur comme une humiliation et un outrage. Des milliers de bras furent donc mis en mouvement, et le succès couronna bientôt l’entreprise. Les peuples voisins en furent frappés d’étonnement et de terreur, eux qui au commencement avaient traité cet ouvrage de vanité et de folie » [More (b), 1516, p. 35].
 

Publiée en 2009, une réflexion historique et politique sur le projet utopique et son dynamisme démocratique en 8 articles - article n°4.


Les Cahiers du travail social n°59-60
Les Cahiers du travail social n°59-60
2. L’utopie, perturbations et propositions démocratiques.

Le paradigme utopique.
Quand Thomas More invente l’utopie en publiant ce texte, il ne fait pas que créer un néologisme destiné à un long succès : U-topia, l’île de nulle-part (outopos), l’ailleurs imaginé et, selon une ambiguïté étymologique, lieu du bonheur (eutopos). Il construit un genre littéraire et élabore une nouvelle critique politique. Les éléments structurants du récit utopique seront repris par les romans et les projets utopiques des siècles suivants à quelques variantes près : Louis-Sébastien Mercier publiera le premier roman d’anticipation utopique L’An 2440 (1771), texte décevant d’un point de vue philosophique, mais qui doit beaucoup à son invention, l’U-chronie, et les auteurs du XXe siècle, Ievgueni Ivanovitch (Eugène) Ziamatine en tête, qui pousseront jusqu’au bout la logique de la dissolution de l’individu dans la société totalitaire, nouveau genre littéraire de « l’anti-utopie » ou de la « contre-utopie ». Mais, ce qui détermine le genre utopique, c’est selon Bronislaw Baczko l’invention d’un double paradigme : 
« Paradigme littéraire d’abord : récit de voyage imaginaire au bout duquel la narrateur découvre une cité jusqu’alors inconnue, qui se distingue par ses institutions et dont il fait une description détaillée. Paradigme spécifique de l’imaginaire social : représentation d’une société radicalement autre, située dans un ailleurs, défini par un espace-temps imaginaire ; représentation qui s’oppose à celle de la société réelle, existant hic et nunc à ses maux et à ses vices » [Baczko, 1984, pp. 77-78].
 

Publiée en 2009, une réflexion historique et politique sur le projet utopique et son dynamisme démocratique en 8 articles - article n°3.


Les Cahiers du travail social n°59-60
Les Cahiers du travail social n°59-60
L’idéal du bonheur : le Paradis sur terre.
L’espoir en des temps meilleurs, l’espoir de vivre un nouvel âge d’or ne quitte pas l’imaginaire social et politique des peuples, jusqu’à désirer, comme finalité suprême, vivre un jour le temps idéal d’un Paradis sur terre. Pourtant, retrouver le Paradis perdu n’a pas de sens : c’est une folie d’un point de vue politique.

Continuons encore un instant ce mélange entre les mythes religieux et politiques et cherchons à lire les épisodes bibliques sous le prisme politique. C’est finalement une lecture logique pour un texte religieux et politique, le Pentateuque, sorte de « manifeste patriotique » d’un peuple nomade, qui constitue les cinq premiers livres du judaïsme, les livres de la « loi juive », la Tora, et qui composent également la Bible chrétienne.
 
« J’ignore si les dieux des autres peuples du Moyen-Orient étaient aussi jaloux que lui ; aussi exclusifs » s’interroge Paul Veyne dans un appendice où il analyse le processus historique qui autorise la transition entre la monolâtrie du judaïsme antique et le monothéisme :
« en tout cas, dans beaucoup de religion, les dieux ont leur propre vie, vivent pour eux-mêmes, s’intéressent d’abord à eux-mêmes et, sauf épisodiquement, ne font pas une passion de leurs rapports avec les hommes. La jalousie de Iahvé, pierre de fondation et pierre d’angle de la religion d’Israël antique, est donc sa première grande invention (ou une de ses grandes vérités, pour un croyant), qui est lourde de conséquences. Car croire que le dieu dont un peuple dépend est exclusif entraîne que ce peuple devra lui être totalement dévoué, sous peine de châtiment ; […]. Le Deutéronome, les Prophètes et les Psaumes répèteront qu’aucune nation au monde ne possède un dieu qui prenne autant de soin pour elle que le fait Iahvé pour son peuple. Dieu étant jaloux, on lui sera fidèle, et par là on l’obligera, car qui s’attache à un être se l’attache. À un être, à un seul, dis-je, car on ne peut servir deux maîtres, qui seraient jaloux l’un de l’autre : on ne peut se donner entièrement — et par là se faire pleinement protéger — qu’à un dieu unique. La jalousie divine fut le germe du monothéisme. On devine aussi qu’un dieu aussi bon protecteur de son peuple deviendra un dieu encore plus national que les dieux locaux des peuples voisins ; son culte sera patriotique, identitaire » [Veyne, Appendice. Polythéisme ou monolâtrie dans le judaïsme antique, 2007 » [Veyne, « Appendice. Polythéisme ou monolâtrie dans le judaïsme antique », 2007, pp. 271-272].
 
Et, en effet, dans cette histoire de Paradis, il me semble que le choix proposé par ce dieu jaloux et exclusif est simple. Le propos de Yahvé est, dans cet épisode fondateur, sans ambiguïté : vous êtes sous mon autorité, vous ne discutez pas et vous profiterez d’un monde merveilleux. Par contre, si vous décidez par vous-mêmes, si vous enfreignez la loi, les règles que je vous impose, alors je vous laisse à votre sort, sans protection, en lutte avec la nature sauvage. Le Paradis, c’est donc la nature disciplinée et obéissante, c’est le monde bienveillant et inoffensif, c’est l’ordre merveilleux, c’est le monde parfait. La perte du Paradis, la chute de l’homme, le péché originel ne sont pas conséquents au seul fait de cueillir le fruit interdit, mais c’est d’avoir osé, d’avoir pris ses responsabilités contre l’ordre divin, permanent et infini, de décider pour soi et pour les autres. En d’autres termes, c’est d’avoir choisi de (se) gouverner.
 
Le serpent, contrairement au mythe collectif, n’est pas le pire des menteurs, car à propos « […] du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sous peine de mort. Le serpent répliqua à la femme : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal. » La femme vit que l’arbre était bon à manger et séduisant à voir, et qu’il était, cet arbre, désirable pour acquérir le discernement » [La Bible de Jérusalem, Paris, Les éditions du Cerf, 1973, pp. 33-34, Genèse, chap. 3, versets 3-6].

Choisir le discernement avec toutes les souffrances qui vont avec, c’est le premier acte politique, c’est-à-dire, pour faire sienne la formule aristotélicienne, le premier acte humain.
 
Dans la suite de la Genèse, le second acte politique des hommes sera, cette fois, collectif. La construction de la tour de Babel est un projet « démocratique » qui n’aboutira pas à cause de la volonté divine de maintenir l’homme dans un état de sujétion. L’épisode est assez court pour pouvoir reproduire ici les quelques lignes que le texte religieux consacre à cet événement :
« Comme les hommes se déplaçaient à l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s’y établirent. […]. Ils dirent : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! ». Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres ». Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville » [La Bible de Jérusalem, Paris, Les éditions du Cerf, 1973, p. 41, Genèse, chap. 11, verset 2-8].
 
Symboliquement, l’épisode de la tour de Babel est la première utopie politique identifiable : c’est le projet d’une union, d’une organisation collective pour atteindre l’inaccessible. C’est aussi le projet politique de remplacer Dieu par la « souveraineté » d’un peuple. La mise en échec du projet et la punition divine qui suivent sont à prendre comme un avertissement : aucune association humaine ne peut égaler la puissance et la perfection d’un dieu car elle reste tributaire du risque de la division. Seule la foi peut déplacer les montagnes. Mais, lorsque la foi dans la science aura remplacé la foi en Dieu, les dernières digues du traditionalisme chrétien lâcheront sous la pression des espoirs démocratiques. Pourtant, c’est bien la perfection d’un paradis sur terre que les utopistes ont tenté d’approcher. Mais, goûter à nouveau au délice de cette ordre divin, ce serait refuser son humanité, sa faculté de raison, accepter sa seule nature, c’est-à-dire s’imposer en haut de l’échelle minérale, végétale et animale en tant que jouisseur sans responsabilité, car sans discernement, sans avenir et sans mémoire. C’est là une vision animiste très étrangère à notre conception judéo-chrétienne. Notre religion a créé l’homme pour sa propre gloire. Servi par son « invention » la plus parfaite, Yavhé jouit, dès la création de l’humanité, de son statut de Dieu puissant, magnifique et adoré. Notre Dieu est jaloux et égocentrique. Il est, bien entendu, à notre image.
 

Lu, vu, entendu : notes militantes

par le Dimanche 12 Février 2017 à 09:00


Les enjeux politiques et territoriaux de la future économie des mobilités.


Le Triple play Optymo sur Youtube
Le Triple play Optymo sur Youtube
Il est temps de prendre la mesure de ce qui va arriver demain. L'arrivée des véhicules sans chauffeur démultipliée par les potentialités du Big Data et de la voiture partagée va provoquer une véritable révolution dans les mobilités tout particulièrement dans les transports collectifs. Ces véhicules seront présents massivement d'ici dix à quinze ans. L'impact sera équivalent à celui d'une réinvention de l'automobile. La révolution sera à la fois mondiale et locale ! Elle se déroulera sur l'ensemble des continents et en même temps modifiera en profondeur les dynamiques urbaines et la compétition territoriale. Les enjeux économiques seront considérables.
 
La France qui dans l'ensemble des domaines concernés bénéficie d'acteurs privés, industriels et sociétés de services, de taille mondiale et d'administrations nationales et locales compétentes peut ambitionner une position de leader dans cette révolution qui s'annonce. A condition que l'ensemble des acteurs prennent la mesure des enjeux et se mobilisent. Et tout particulièrement à l'échelle locale car c'est sur le terrain, dans le réel de la vie quotidienne, que l'on pourra vérifier la viabilité y compris sociétale des solutions nouvelles. Mais pour cela, quelques données doivent être rassemblées et articulées pour faciliter la compréhension des bouleversements à préparer.
 
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