MRC Aire Urbaine (BMH)
Vendredi 1 Avril 2016

Conseil départemental, Budget Primitif 2016 : "A quoi a servi votre première année de mandat ?"



Intervention de Bastien Faudot, conseiller départemental Belfort-1
Réunion du Conseil départemental du Territoire de Belfort - Rapport sur le budget primitif 2016, 31 mars 2016


Conseil départemental, Budget Primitif 2016  : "A quoi a servi votre première année de mandat ?"
Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
 
Il y a un an, M. le Président, vous avez fait deux déclarations importantes. La première, c’était le 22 avril dans l’Est Républicain : le budget 2015 était débattu à la marge (voir note). Je vous le concède, à l’époque, nous avons tout bouclé en 40 minutes. Un débat budgétaire à la sauvette. Passons. 

2016 allait être votre vrai budget, votre premier grand acte politique. Je vous confesse ma grande inquiétude en comparant les rapports du  budget 2016 (87 pages) et celui, par exemple, de 2010 (418 pages). On ne juge certes pas la qualité d’un tel exercice à son épaisseur, mais après une attentive lecture, je le confirme, votre document porte bien son nom : « budget primitif ». C’est effectivement un budget très rudimentaire, indigent. Vos prédécesseurs se sont efforcés de construire des budgets argumentés, chiffrés, dans lesquels ils exposaient les contraintes auxquels ils étaient confrontés, mais aussi exposaient leur vision politique, leurs choix, leurs priorités. Ça tombe bien : c’est à ça que sert un budget. Il ne suffit pas d’empiler des chiffres, mais encore faut-il leur donner un sens. Dans chaque domaine d’action, un vice-président présentait la politique qu’il entendait conduire, et la façon dont elle se traduisait par le fléchage des montants en investissement comme en fonctionnement. Et c’est bien le moins que l’on doit aux citoyens quand on engage plus de 150 millions d’euros d’argent public, c’est à dire de contribution des familles et des entreprises ! On leur doit, non pas des comptes, mais on leur doit LEURS comptes.

D’ailleurs, je veux faire une observation qui pourra vous sembler très formelle, mais qui en dit long du malaise qui traverse notre collectivité aujourd’hui. Vous avez choisi d’isoler les charges dites « de personnel » (horrible expression), comme s’il s’agissait d’un poste budgétaire en soi. Mais les agents du service public contribuent à la mise en place des politiques publiques ! Vous auriez été bien avisé de poursuivre une tradition qui consistait à intégrer les moyens humains dans les différents secteurs d’intervention du Conseil départemental. Les politiques publiques par secteur ne se résument pas, loin s’en faut, aux crédits alloués et autres subventions. Ce sont d’abord les personnes qui oeuvrent à l’accompagnement social, les personnels qui assurent l’entretien des collèges, qui effectuent les travaux sur les routes, qui déneigent en hiver, qui accueillent le public, qui assument les fonctions administratives. Ce sont ces agents que les citoyens croisent au quotidien. C’est à eux qu’ils ont affaire, pas à des colonnes de chiffres. Là, une part décisive de l’action publique est totalement isolée de la mise en œuvre et des priorités politiques. Comment voulez-vous que l’on porte une appréciation et qu’on évalue vos choix, y compris en termes de redéploiement des effectifs et de réorganisation des ressources humaines ? Votre fascicule budgétaire dissémine les fonctions. Comme dit Bernard Blier dans Les tontons flingueurs, vous « éparpillez par petits bouts, façon puzzle ».  Difficile dans ces conditions de mobiliser la collectivité au service des politiques que vous tentez de mettre en œuvre. J’insiste, ce n’est pas formel, cela témoigne au fond que vous n’avez pas encore pris la mesure du rôle du politique dans la maison.
 
Votre deuxième déclaration : « Je n’augmenterai pas les impôts » Et que vous empressez-vous de faire ? Vous les augmentez de 3% dès la première année, 11 mois après avoir déclaré le contraire !
Je vous livre telle quelle ma stupéfaction : comment pouvez-vous vous autoriser une chose pareille ? Cela m’échappe totalement. Etes-vous cynique et calculateur ou distrait et inconséquent ? Avez-vous seulement conscience de l’ampleur, l’intensité et la profondeur de la crise politique que nous traversons ? Savez-vous quelles en sont les causes ? Eh bien c’est assez simple : les citoyens nous reprochent, à nous tous collectivement, de raconter n’importe quoi pour se faire élire, et d’oublier ces engagements, ou de faire exactement le contraire. En gros, ils nous reprochent d’occuper le pouvoir, alors que nous sommes là pour l’exercer. Ça n’a rien à voir.
Au fond, ce qui est insupportable, c’est que votre pratique discrédite l’engagement politique et le travail des élus. Si encore cela ne concernait que vous, ce serait votre affaire ! Mais les citoyens sont tellement écoeurés par ces pratiques, trop souvent répétées, qu’ils se détournent de la politique en général, sans autre distinction. Pouvons-nous leur donner tort ? Au fond, je vais vous le dire franchement, au-delà de savoir si cette augmentation est justifiée ou non, sans autre considération, je vous en veux, car cela abîme ce à quoi je crois le plus : la sincérité de la délibération collective, la noblesse du débat. Vous portez préjudice à l’engagement politique, au travail quotidien que les uns et les autres nous mettons en oeuvre. Pensez-y, chacun d’entre vous, la prochaine fois que vous croiserez un citoyen, au coin de votre rue et qu’il vous dira : « je ne crois plus en la politique » ou bien « les politiques ? je ne leur fais plus confiance, ils nous ont trop souvent trahi ». Et rappelez-vous ce jour où, dès le début de votre mandat, vous avez approuvé un budget qui piétine le contrat qui vous lie à eux. Rien de tout cela ne nous appartient, ne vous appartient. Nous sommes de passage. Il ne faut pas l’oublier.

Alors, bien sûr, dans une des ces  joutes cent fois répétées, vous allez répliquer, expliquer que c’est la faute du gouvernement qui a réduit vos marges de manœuvre et ampute les dotations. Et nous allons sombrer dans ce débat assommant en tentant d’imputer à l’autre la responsabilité de vos propres choix. Je le répète ici : vous pouvez regretter ces baisses de dotations, mais vous êtes membres d’une famille politique qui trouvait en janvier 2014 que ce n’était pas assez et qui a voté à 98% un plan d’économie alternatif de 130 milliards d’euros, considérant que le plan de 50 milliards du gouvernement n’était pas suffisant. Ça, ce sont des faits. Le reste, ce sont des mots. Ces mots auxquels plus personne ne croit.
 

 

Le budget traduit vos choix politiques, vos orientations en hiérarchisant ce que sont vos priorités. Le document que vous nous avez remis est confus. Beaucoup de chiffres nous échappent, faute d’explications. Bien sûr, il y a des paragraphes qui viennent agrémenter votre exposé, mais souvent, soit c’est du verbiage, soit ils disent à peu près le contraire de ce que signifient les tableaux auxquels ils se réfèrent.
Laissez-moi prendre un exemple pour bien me faire comprendre :
page 27 du fascicule, je vous cite : « Alors que la société française a été attaquée, que les citoyens, qui font face au quotidien à des difficultés diverses, sont en proie au doute, il est plus que jamais nécessaire de réaffirmer le rôle central que jouent l’éducation et la culture dans la défense des valeurs de la République, des fondamentaux de tolérance, etc… »
Je répète, « plus que jamais nécessaire de réaffirmer ». Plus que plus que jamais, ça n’existe pas. Vous créez le désir. Du coup, on s’attend à une politique particulièrement forte en la matière, dans laquelle vous allez annoncer des initiatives nouvelles, imaginer de nouveaux dispositifs.
Eh bien, en fait, non. Pour appuyer cette urgence impérieuse que vous décrivez, vous baissez le budget dédié à ce secteur de près de 8%, soit 550 000 euros en moins ! Dans le détail, ça donne en fonctionnement - 6% pour l’éducation, - 34% pour l’enseignement supérieur et la recherche, - 8,76% pour la jeunesse, les sports et la vie associative, - 9,5% pour la culture ! Est-ce en réduisant drastiquement les budgets aux structures culturelles que vous allez, comme vous le prétendez, « amener la culture au plus près des habitants » ?

Dès lors, j’ai de nombreuses questions à vous poser. C’est en principe à ça que servent les commissions au sein desquelles nous sommes volontaires pour travailler. Je réitère ici notre demande de créer des commissions qui nous permettraient de poser les questions adéquates pour ne pas monopoliser la séance à cela. Mais pour cette année, nous y sommes contraints. Je ne doute pas que vous nous apporterez tous les éclaircissements dont les élus d’opposition ont besoin.
 
Deuxième point de méthode. Vous évoquez dès l’entame du document un « contexte de transition institutionnelle » que nous avons tous à l’esprit. Vous ne consacrez pourtant qu’une demie-page aux conséquences de la mise en œuvre de la loi NOTRe, que, comme vous, je réprouve. Que deviennent les compétences ? Quelles discussions avec les autres collectivités ont été engagées ? Quel est l’échéancier concret ? Quelle est votre approche dans cette période transitoire ? Quel impact concret cela a-t-il sur la construction de votre budget ? Par exemple, sur le développement économique, compétence partagée entre les intercommunalités et les régions, quelle est votre politique pour que notre collectivité demeure un acteur stratégique de l’attractivité de notre département ? En avez-vous une ? Nous pouvait-on pas, par exemple, renforcer l’intervention sur des domaines directement reliés au développement économique – je pense à la recherche et à l’enseignement supérieur ? Oui mais voilà, les crédits chutent de 34%.  « Plus que jamais », pour reprendre une formule qui semble vous plaire, il y avait besoin d’une vision stratégique détaillée de votre action. Un plan. Une programmation. Une vision. Pouvez-vous nous indiquer votre vision du rôle du département ? Cela a des conséquences très directes sur l’organisation du transport scolaire pour lequel il ne suffit pas d’annoncer que vous entendez pérenniser la gratuité…
 
J’en viens au cœur du sujet : votre politique que ce budget traduit. J’ai donc fait l’exercice, en me reportant au projet politique que vos électeurs ont choisi. Vous avez fait trois grands types de promesses.
 
1/ Les promesses qui consistaient d’abord à créer des dispositifs qui existent déjà. La tactique est habile, et elle n’est pas la plus difficile à mettre en œuvre. Il suffit de s’approprier de qu’ont faits les équipes qui vous ont précédé.
C’est le cas par exemple de l’aide à la cantine pour les bénéficiaires de l’allocation de rentrée scolaire. C’est le cas aussi de la station de vélo promise à la gare SNCF. Si c’est la gare de centre-ville, je tiens à vous informer qu’elle existe déjà. Si c’est la gare TGV, cette promesse passe en 2ème catégorie.
 
2/ Il y a ensuite le long catalogue des mesures annoncées, mais qui n’apparaissent nulle part. Bon, c’est la première année me direz-vous. Mais nous attendons donc les prêts d’honneur pour le TPE, la création du pass sport-culture, le développement des lieux de rencontres pour les aînés, le conseil départemental des jeunes. A l’exception de cette dernière proposition, les autres ne sont pas mêmes mentionnées dans ce budget pour l’année 2016.
 
3/ J’en viens donc à la troisième catégorie, qui est de loin, la plus grave : la catégorie des promesses-qui-servaient-à-se-faire-élire et dont vos électeurs ne verront jamais la couleur. Vous avez un problème d’infidélité à vos électeurs M. le Président. Nous l’avons vérifié sur votre promesse de modération fiscale. Mais ce n’est pas un dérapage incontrôlé. Ce n’est pas une exception, c’est une véritable méthode de gouvernance par laquelle vous renouvelez le genre. Vous faites, à peu près dans tous les domaines, le contraire de ce que vous avez dit. A ce rythme, je suis très interrogatif sur la suite de votre mandat.

Je vais donc vous fournir quelques exemples, si vous en doutez en puisant dans votre programme puisque vous en aviez un.
Vous annonciez en grande pompe vouloir en terminer avec l’assistanat. C’était un véritable leitmotiv : la chasse aux fraudeurs des systèmes de solidarité, en particulier le RSA. Page 10 de votre rapport : la compensation et recouvrement des indus baisse de 1,9% ! Vous semblez vous-même anticiper sur votre échec en la matière. Car si vous ne recouvrez pas davantage de sommes indument versées, c’est sans doute parce que vous estimez aujourd’hui que les fraudeurs ne sont pas aussi nombreux que vous ne le pensiez. Sinon, si votre action était décisive, si vous croyiez vous-même à son efficacité, nous aurions ici une ligne prévisionnelle en augmentation significative.
 
Je reste sur le RSA. Vous disiez vouloir « exiger une contrepartie : 7 heures de travail hebdomadaire en échange de son versement ». Cette proposition (outre qu’elle est illégale) n’est pas nouvelle. Elle a déjà été essayée en 2011 par un certain Nicolas Sarkozy. Il prévoyait la création de 10.000 contrats uniques d’insertion (CUI) qui devaient être signés en un an. 700 seulement ont vu le jour, et Sarkozy a renoncé au dispositif. Vous, vous avez décidé de rééditer. Pouvez-vous nous expliquer quand et comment vous entendez mettre en œuvre cette mesure ? Car naturellement, ça n’apparaît pas ici.
 
Le RSA toujours – c’était décidemment une obsession. Vous proposiez des aides aux entreprises pour le recrutement des bénéficiaires du RSA. Problème, la loi NOTRe a retiré la capacité pour le CD de verser des aides aux entreprises : d’ailleurs p. 47 de votre rapport, vous le précisez vous-mêmes. Alors, pouvez-nous nous expliquez comment vous entendez désormais mettre en œuvre cette promesse ? (Je précise que cette loi était déjà passée en première lecture au Sénat et à l’Assemblée Nationale au moment des élections départementales)
 
Amélioration de l’habitat privé : où sont les moyens promis ? Les seuls chiffres dont on dispose semblent être en sérieux recul.
 
Améliorer les réseau de transports urbain des voyageurs avec une plus grande harmonisation des correspondances : en lieu et place de quoi, nous avons une subvention au SMTC qui diminue, une dégradation des fréquences en ville et la suppression du Transport à la demande, qui passait au minimum chaque heure, et qui sera remplacé par des lignes qui passeront 3 ou 4 fois par jour. Est-ce cela qu’il fallait entendre par « améliorer le réseau de transport urbain et harmoniser les correspondances » ?
 
Vous vouliez « Développer le réseau de pistes cyclables », là aussi, intention louable. Mais que se passe-t-il vraiment dans les faits ? Il suffit de juger sur pièce et d’aller p. 56 : les crédits d’investissement dédiés au réseau cyclable diminuent de 29% !
 
Vous promettiez hier le soutien au monde associatif. C’est ce qui vous a conduit à revaloriser l’enveloppe du FDAAL au niveau de 2012, soit une augmentation de 25.000 euros environ. Nous vous avons soutenu en ce sens, mais est-ce compatible avec la saignée que vous réservez au monde associatif, que ce soit dans le domaine de la culture ou du sport ?
 
Fin mai dernier, au journal l’Alsace, vous déclariez : « Les Eurockéennes sont une formidable locomotive, pas question d’y toucher ! ». On aimerait vous croire sur parole, mais comment doit-on interpréter la baisse de subvention de 53.000 euros à l’association qui porte les Eurockéennes ?
 
Je m’arrête là, même si la liste de vos promesses déclassées ne s’arrête pas là.
 
Je pourrais y ajouter ici la liste encore plus longue des approximations ou contrevérités. Vous dites p. 24 que vous maintenez l’effort du Fonds de solidarité Logement, mais vous le réduisez de 110 000 euros par rapport à 2015. Chiffre que nous sommes contraints d’aller retrouver dans le volume des tableaux. Est-ce seulement honnête ?
 
Quand je lis votre premier « vrai budget » ainsi que vous le désigniez vous-même, je m’interroge. Je me pose une question : à quoi a servi votre première année de mandat ? Cette victoire que vous ont donné l’an dernier les électeurs, était-ce vraiment pour en faire ça ?

Cette année écoulée a causé beaucoup de troubles dans la maison.  Et d’abord auprès de ceux sur lesquels vous devez pourtant vous appuyer pour mener les politiques publiques au service du Territoire de Belfort. Je veux parler des agents.
Vous avez là aussi fait des annonces imprudentes. Le 22 avril 2015, vous estimiez qu’avec 700 agents titulaires, le conseil départemental présentait un « sureffectif considérable ». Vos méthodes de management, et singulièrement celles de votre Directeur Général, ont encouragé des compétences à partir ailleurs. Vous vous êtes débarrassés de personnels compétents, dotés d’une vraie culture du service public et rodés à une méthode de travail qui a fait ses preuves pendant de longues années : le projet.
Mais vos grandes déclaration fracassantes se sont elles-mêmes fracassées sur la réalité : « sureffectif considérable » disiez-vous ? Si je prends l’état du personnel en équivalent temps plein, le nombre d’agents titulaires est passé de 596 à 593.
Comprenons-nous bien. Je ne vous rappelle pas ça pour vous encourager à poursuivre en ce sens. J’exhibe la réalité des chiffres derrière vos déclarations qui ont, pour l’essentiel, contribué à déstabiliser toute une institution. Je reste à penser que vous aviez mieux à faire.
 
Est-il encore temps de corriger la trajectoire ? Sans doute.
En avez-vous la volonté ? J'en doute.

 

NOTE

© L'Est Républicain, Mercredi le 22 Avril 2015 / Belfort - Droits de reproduction et de diffusion réservés
« Un sureffectif considérable »
Florian Bouquet estime que le conseil départemental, avec 700 agents titulaires et une centaine de remplaçants, présente « un sureffectif considérable ». « Les embauches sont gelées et nous avons lancé, lundi, un appel d'offres pour un audit financier et de ressources humaines ».
Le budget sera débattu jeudi. Florian Bouquet indique qu'il a « revu à la marge celui qui avait été préparé » par l'équipe précédente. « Notre premier vrai budget sera celui de 2016 », ajoute-t-il, en déclarant qu'il n'augmentera pas les taux d'imposition et remontera le fonds pour les subventions aux associations à son niveau de 2012.
Il indique qu'il entend trouver de la marge financière cette année dans la réduction de la masse salariale, la suppression de l'attribution d'un chauffeur au président et la réduction de la fréquence de publication du magazine « Vivre le Territoire ».



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