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Publié le Samedi 12 Octobre 2013

Syrie et Proche-Orient : pour une diplomatie d’équilibre de la France


Mots-clés : russie, syrie

Intervention de Julien Landfried lors de la table ronde « les leçons de la crise syrienne » de l’université de rentrée de Maintenant la gauche, samedi 12 octobre 2013.


Bonjour à tous,

Permettez-moi d’abord de remercier les animateurs de Maintenant la gauche pour leur invitation aujourd’hui. Le Mouvement Républicain et Citoyen avait eu le plaisir d’entendre Jérôme Guedj développer ses arguments lors de la table ronde finale de notre université d’été le dimanche 15 septembre dernier.

Que faut-il penser de l’action diplomatique de la France concernant le dossier syrien et plus particulièrement des orientations consécutives à l’attaque chimique d’un quartier de la banlieue de Damas le 21 août dernier, action commise selon une majorité d’observateurs par le régime syrien ?

1. La politique de « regime change »
Après l’élection à la présidence de la République de François Hollande, le gouvernement français n’a pas remis en cause la décision du Quai d’Orsay, alors dirigé par Alain Juppé, de fermer l’ambassade de France à Damas en mars 2012. Cette continuité ne pouvait être interprétée par les acteurs locaux et la Russie que comme un signe que la priorité de la France était de faire tomber, à terme, le régime de Bachar el-Assad. Cette politique de regime change (changement de régime), déjà mise en œuvre en Libye contre Kadhafi, est clairement d’inspiration néo-conservatrice, et traduit l’existence au plus haut niveau de la diplomatie française, d’un courant d’opinion que l’on pourrait, avec Jean-Pierre Chevènement, qualifier d’« occidentaliste ». C’est ce courant qui s’est opposé avec véhémence au refus de l’intervention en Irak de Jacques Chirac, et qui a puissamment œuvré à l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007 puis à sa politique étrangère, même si celle-ci était par certains aspects profondément erratique. Il est pour le moins inquiétant que ce courant ait « résisté » à l’alternance politique en France.

2. L’opposition syrienne : faut-il armer les rebelles dit « modérés » ?
Si la France a reconnu très tôt le Conseil national syrien (le 10 octobre 2011), qui affirme représenter les différentes tendances de l’opposition nationale syrienne, force est de constater que près de deux ans plus tard, les éléments non islamistes des rebelles armés semblent marginalisés sur le terrain par des éléments radicaux ou djihadistes, souvent d’origine étrangère. Distinguer parmi les rebelles ceux qui sont modérés des extrémistes liés à Al Quaida est-il possible compte tenu la fragilité de la situation sur le terrain et de la dégradation des conditions de vie des combattants et des populations civiles qui rendent les frontières floues et particulièrement sensibles aux arguments financiers ?

Le précédent de l’intervention en Libye devrait mettre en garde la France contre la tentation naïve de croire armer tel groupe plutôt que tel autre. L’exportation du djihadisme du Libye vers le Mali n’est-il pas en bonne partie la conséquence d’une intervention franco-anglaise mal pensée et sous-estimant l’importance du « jour d’après » l’intervention militaire et la mort de Kadhafi ? Aussi, les parlementaires du Mouvement Républicain et Citoyen ont-ils mis en garde le gouvernement en mars dernier contre une politique de livraison d’armes, qui est en réalité, incontrôlée dans son principe même.

3. Droit d’ingérence et droit international
Le droit d’ingérence, tel qu’il a été pensé et popularisé à partir des années 80, masque souvent, derrière une conception extensive d’une diplomatie des droits de l’homme des objectifs politiques plus ambigus. Or, pour reprendre à nouveau les mots de Jean-Pierre Chevènement, on n’a jamais vu les faibles s’ingérer dans les affaires des forts. Si bien que le droit d’ingérence est toujours le fait d’une puissance régionale ou mondiale.

La France, qui est intervenu au Mali dans le strict respect de la légalité internationale, n’avait rien à gagner à intervenir militairement en Syrie, avec ou sans les Etats-Unis, dans le non respect du droit international. Dans un monde marqué par le développement des pays émergents et par l’existence d’antagonismes militaires bien réels, le rôle d’un pays comme la France, puissance militaire membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, est de s’appuyer sur le droit international. La France est pacifique, mais n’est pas pacifiste. Elle ne doit pas s’interdire d’user de la force si le Conseil de sécurité lui en donne mandat. Mais elle n’a pas vocation à conduire des expéditions militaires unilatérales quand ses intérêts vitaux ne sont pas en jeu.

Dans le cas syrien, quels étaient les buts de guerre ? Infliger une punition à un dictateur sanguinaire ? Mais on sort là du cadre des affaires étrangères et du droit, pour rentrer dans celui de la morale.

4. Quel politique avec la Russie ?
La Russie a proposé par l’intermédiaire de son ministre des affaires étrangères Sergeï Lavrov, un plan pour contrôler les armes chimiques syriennes, que les Etats-Unis ont finalement accepté. Cette initiative diplomatique a été prise sans que la France y soit associée. C’est le signe d’un échec de la diplomatie agressive qui a culminé pendant une dizaine de jours en septembre 2013.

La Russie est une grande puissance, et défend ses intérêts au Proche-Orient. C’est par un dialogue diplomatique ferme que l’on pourra faire avancer avec elle une solution politique négociée à la guerre civile qui fait actuellement rage en Syrie. Cette solution impliquant toutes les parties prenantes, ne peut se négocier que dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations Unies. Croire trouver une solution en Syrie sans la Russie ou contre la Russie est tout simplement absurde, et relève soit de l’idéologie, soit d’une méconnaissance des équilibres régionaux.

5. Ne pas gâcher le gain politique de l’action au Mali, revenir à une diplomatie autonome
L’action résolue du président de la République au Mali a permis une stabilisation de la situation sur place et a évité une prise du contrôle du pays par des islamistes radicaux. Le crédit que la France a gagné grâce à cette intervention a été pour une large part perdu par son aventurisme momentané en Syrie. Bien que s’étant auto-promue « plus ancienne alliée des Etats-Unis », la France a dû assister impuissante à l’exercice de realpolitik du président Obama qui a accepté la proposition russe de contrôle des armes chimiques syriennes sans associer la France à sa démarche.

Quelle leçon en tirer ? En substance, que la « communauté internationale » n’existe pas. Il y a des Etats qui défendent leurs intérêts économiques et géopolitiques. D’où l’impérieuse nécessité d’une compréhension correcte des rapports de forces entre puissances et d’une vision stratégique qui permette de penser au « coup d’après » (cf. le colloque du 22 mars 2010 de la Fondation Res Publica, « La France et ses stratèges »).

C’est sans doute la leçon tirée par le président Hollande à en juger par sa poignée de mains avec le nouveau président iranien Hassan Rohani le 24 septembre dernier. Il faut espérer que cette ligne « réaliste » soit réaffirmée et affermie dans les semaines et les mois à venir. C’est en recherchant une solution politique à la guerre civile syrienne que la France fera le meilleur usage de sa force.

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