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Publié le Vendredi 15 Novembre 2013

De gauche à droite, la grande migration des valeurs


Mots-clés : front national, gauche

Tribune de Marie-Françoise Bechtel, Députée de l'Aisne et Vice-Présidente du MRC, parue dans l'Expansion (novembre 2013).


De gauche à droite, la grande migration des valeurs
On évoque justement la captation des valeurs de gauche -voire d’extrême- gauche-à laquelle Marine le Pen se livre depuis bientôt deux ans, y compris dans le domaine économique : critique acerbe de la mondialisation, de la spéculation, de l’ouverture des frontières, exigence du retour d’un Etat volontariste, souverain et républicain. Nicolas Sarkozy avait certes montré le chemin, mais en se bornant à un chambardement de valeurs, invoquant Jaurès un jour, la « rupture » libérale le lendemain et n’aboutissant finalement qu’à déconcerter son électorat naturel sans parvenir à fixer un électorat issu de la gauche. Il s’agissait plutôt d’une phase de brouillage des repères dans un pays déconcerté par le double effet de la mondialisation et de la crise. Le FN de Marine Le Pen va, lui, jusqu’au bout de la logique de captation ce qui veut dire qu’il abandonne l’héritage libéral de Jean-Marie Le Pen. Là est peut-être le secret de sa supériorité dans l’audience populaire : celle-ci se reconnaît mieux dans un discours apparemment sans contradiction, celui du roman national et du principe d’égalité, quelles que soient les dérives apportées à l’un et à l’autre. La force des critiques et la simplicité apparente des solutions marginalisent l’autre discours anti-mondialisation, celui du Front de gauche et le phénomène est d’autant plus remarquable que ce dernier dispose d’un tribun, Jean-Luc Mélenchon, aux accents également populaires.

Ce phénomène ne prospère toutefois que parce qu’un transfert symétrique s’est opéré, plus tôt, dans le sens opposé : les valeurs de la droite classique c’est-à-dire libérale et non plus gaulliste ont quant à elle essaimé vers la gauche dominante. Cette migration est devenue sensible au tournant des années 90 lorsque le parti socialiste a accepté le marché au nom de son choix européen. Elle a eu pour vecteur principal le rocardisme lequel a fait école et a atteint à un degré plus ou moins marqué l’ensemble de la gauche socialiste. Bien sûr le phénomène n’est que partiellement symétrique car la gauche récuserait l’idée d’une captation d’héritage des valeurs de la droite en soutenant au contraire de l’idée que la social-démocratie à la française offrirait une réconciliation entre le marché et la justice sociale. Il s’agit donc d’un transfert le plus souvent mal assumé. Mais il reste incontestable que l’idée que l'«Etat ne peut pas tout», que la loi des marchés impose des contraintes incontournables, que l’intervention publique a perdu l’essentiel de sa légitimité dans le domaine économique ont profondément transformé l’approche du monde de la gauche dominante. Certes la rhétorique de la justice sociale, de l’égalité, de la place des services publics, voire du volontarisme économique demeure mais l’impossible synthèse se fait pour le moins attendre.

Double migration donc : l’une cynique et assumée, l’autre plus honteuse et le plus souvent déguisée. Mais l’effet en est aujourd’hui évident : la droite extrême parle au peuple, parce que nul autre ne sait le faire ; la gauche dominante parle aux classes moyennes et supérieures parce que, depuis le tournant de Maastricht qui a intériorisé la vision libérale de l’économie et de la société, elle n’a plus d’autre auditorat. Encore doit-elle partager celui-ci avec la droite classique, ce qui explique les va-et-vient d’une majorité à l’autre. Ce mouvement historique ira-t-il jusqu’à modifier en profondeur les choix électoraux du peuple français ? L’avenir proche le dira.

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