Lundi 15 Avril 2013

La loi Hôpital Patient Santé et Territoire : danger pour la santé publique ?



Frédéric Pierru
Sociologue
Chargé de Recherche au CNRS, Paris Dauphine
Enseignant à l’Université de Picardie


Nous sommes à un moment critique de l’évolution du système de santé, car le secteur privé s’avance sans vraiment dire ce qu’il fait. Un grand débat national serait nécessaire, à condition de sortir de l’ «hémiplégie » dans lequel il est enfermé : la politique de santé est encore réduite à l’idée « maladie-médecin-hôpital-soins », alors qu’elle englobe également la Prévention, dimension en déshérence jusqu’au début des années 90 ; de plus, dès sa création en 1945, le soin a été perçu comme un coût, un charge, accompagné du discours sur les abus, les citoyens irresponsables, arguments qui ressortent à l’identique actuellement.

Des dépenses excessives ?

On reste fasciné par les dépenses considérées comme excessives ; or un fait fondamental est abondamment démontré par des économistes de tout bord, y compris américains : les sociétés occidentales n’investissent pas suffisamment dans la santé qui, loin d’être une charge, est un investissement rentable, du point de vue sanitaire mais aussi économique ! Nous aurions intérêt à dépenser plus que 11 % du PIB dans la santé. On se focalise sur la dette, mais jamais sur les bénéfices. En économie, les coûts sont à placer en regard des bénéfices ; or nous n’avons au pouvoir que des comptables.

Le stéréotype « trou de la Sécu » n’a aucun sens ; il a pour effet de faire obstacle à un vrai débat et de masquer les choix politiques. La création de la Sécurité Sociale a provoqué une véritable révolution dans nos rapports à la maladie et à la mort, révolution silencieuse mais de première importance pour notre civilisation ; consulter un médecin est devenu une banalité, ce qui n’était pas le cas auparavant. Mais plutôt que de la prendre en compte, politiques et médias ne veulent voir qu’un chiffre !

Un budget en déficit ?

Un déficit n’existe qu’en référence à un budget, or jusqu’en 1996 le budget de la Sécu n’existe pas, donc cette expression était absurde. En créant l’Objectif National de Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM), les réformateurs libéraux ont avancé dans leur volonté de mettre la santé sous budget global, grand dessein technocratique des politiques de droite et de gauche pour limiter les dépenses. Cela s’est heurté à un obstacle important : le système français repose sur le principe du libre accès aux soins.

En revanche c’est en France que le service privé est un des plus importants, car jusqu’en 1941 l’hôpital était réservé aux pauvres tandis que les cliniques s’étaient développées auparavant pour les milieux aisés. Instaurer une contrainte budgétaire n’est donc pas facile, sauf si on la fait supporter par l’hôpital public. Dès 1982, ce choix est fait et le budget global amorce la décélération des dépenses. La réforme Juppé de 1996 oblige à reverser le montant des éventuels dépassements, mesure supprimée devant la fronde des praticiens libéraux. Est alors instauré un mécanisme automatique de plafonnement à 2,9 %. La réalité est toujours au-delà de 3 %. Recettes et dépenses n’évoluent pas en fonction des mêmes variables.

Les dépenses (167 mds/an) croissent notamment en raison du coût de l’innovation médicale et de sa diffusion, mais également en raison de la natalité relativement élevée en France. Les tarifs des praticiens spécialistes ainsi que les conséquences des 35h à l’hôpital ont également leurs responsabilités. Contrairement au discours qui accuse les gaspillages et les fraudeurs, il n’y a pas d’explosion des dépenses, car la France est au 8e rang des dépenses par habitant. Le problème vient avant tout de la diminution des recettes consécutive à la très faible croissance de notre économie et au chômage de masse structurel, qui résultent des choix de politique économique générale faits depuis longtemps.

Une idéologie gestionnaire à hauts risques

En conclusion, nous devons constater que l’idéologie gestionnaire s’est imposée dans l’opinion. Construite par de grands commis de l’Etat de culture juridique qui avaient le sens de l’intérêt général, la Sécurité Sociale est désormais entre les mains de gestionnaires qui sont beaucoup moins attachés à l’Etat. Politiquement le conflit est entre un discours qui stigmatise les profiteurs et une autre conception de la solidarité, entre les droits gestionnaires et les droits créances.


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