Lundi 15 Avril 2013

La loi Hôpital Patient Santé et Territoire : danger pour la santé publique ?



Exposé du Professeur Grimaldi, professeur émérite de Médecine au CHU Pitié-Salpétrière, Paris


La crise du système hospitalier est profonde : nous assistons à un changement complet de paradigme, et il sera difficile d’en revenir même après un changement complet de politique. Trois crises distinctes se conjuguent :

1. Une crise démographique Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le gouvernement a estimé qu’il y avait trop de médecins. Il a donc été décidé de passer de 8500 médecins formés par an à 3500 il y a trois ans, et, malgré une ouverture récente, ce déficit se fera sentir jusqu’en 2025 ! On a financé le départ en retraite anticipé de 10 000 médecins, imposé un numerus clausus aux infirmières. Résultat : il a fallu importer 10 000 médecins étrangers, qui font défaut à leurs pays, et des infirmières. D’où la désertification croissante, les inégalités d’accès aux soins, la destruction des équipes qui ne peuvent renouveler les départs en retraite… Comment a-t-on pu en arriver là ? Droite et gauche ont toujours été unanimes pour affirmer qu’il était nécessaire de lutter contre la pléthore de praticiens. La gauche défendait une politique de l’offre, donc voulait réduire le nombre de médecins pour diminuer les dépenses supposées inutiles, position défendable à condition de revoir la liberté d’installation, le paiement à l’acte, la collaboration avec les paramédicaux. La droite soutint les syndicats de médecins libéraux qui n’avaient qu’un objectif : être en position de force pour négocier leurs honoraires avec la Sécurité Sociale dont ils n’ont jamais accepté le principe, et ce sont eux qui ont gagné. C’est sur ce terrain que le système est construit. De cela, on n’en parle plus !

2. Une crise d’adaptation Le progrès médical, les nouveaux besoins, les nouvelles conditions d’exercice de la médecine obligent à repenser l’organisation du système de soin. La médecine évolue dans trois directions :

* La concentration des moyens et des compétences humaines sur des plateaux techniques performants. Il est indispensable de les répartir rationnellement sur le territoire compte tenu des délais maximum d’intervention médicale (3h pour une Accident Vasculaire Cérébral). Il convient donc de construire des filières cohérentes.

* Les pathologies changent : des maladies autrefois mortelles sont devenues chroniques (sida, diabète…). Le développement de cures ambulatoires rend nécessaires une information et même une formation du malade pour qu’il réponde de manière adaptée aux manifestations de sa maladie. La qualité et la continuité des soins exigent des infirmières spécialisées et la participation des familles. Ces prises en charge ambulatoires furent l’argument pour diminuer le nombre de lits, mais les accueils d’urgence à l’hôpital public sont passés de 10 millions à 18 millions en 10 ans, or la difficulté principale des urgentistes est justement de trouver les lits dont ils ont besoin.

* Les maladies chroniques, les polypathologies, les handicaps, le vieillissement demandent une autre médecine, une autre organisation, et un autre mode de financement. Une médecine multiple exige une organisation multiple, or nous sommes soumis à une pensée unique !

3. Une crise des financements La loi HPST n’entraîne aucune adaptation aux nouveaux besoins. Elle ne répond qu’à la seule question qui l’intéresse : qui doit détenir le pouvoir à l’hôpital ? Depuis 1945, le système sanitaire français est mixte en garantissant l’égalité d’accès aux soins et la tradition de la médecine libérale, un financement public complété par les mutuelles, et une distribution mixte des soins. Le système anglais uniquement public conduit au rationnement, le système américain purement privé à l’inégalité et à l’inefficacité. Un exemple : en Arizona, pour des raisons budgétaires, le « Médicaid » public pour les pauvres a supprimé le remboursement des greffes d’organes ; vous êtes pauvre, vous avez une leucémie, vous ne pouvez pas payer la greffe, vous mourrez… Notre système est évidemment supérieur. On accuse son coût : or il correspond à 11 % du PIB, alors qu’il est de 16 % aux USA, et la France est au 8e rang des pays riches pour le coût par habitant, ce qui est tout à fait correct. Le coût de la santé croit plus vite que la richesse nationale, raison de plus pour poser la question de fond du mode de financement. Il n’y en n’a que trois : • S’en remettre à la vertu de tous, soignants et soignés. Ce choix est totalement illusoire, • Prioriser le financement public, • S’en remettre au marché. • Le choix idéologique est fait : c’est le marché ! Avec les arguments classiques des néo-libéraux : • Le marché est le lieu où l’offre rencontre une demande solvable, • La concurrence permet d’obtenir la qualité au meilleur prix, • Les profits financent les investissements que nécessitent les progrès techniques, • La loi du marché est dans l’intérêt des consommateurs. Or , ça ne marche pas ! Parce que le malade n’est pas un consommateur. il n’a pas choisi d’être malade, il n’achète pas une marchandise, pas même un acte technique : il recherche un soin et une confiance ! La santé étant définie comme « un état de bien-être », le marché est potentiellement illimité, ce qui pousse les marchands de santé au remplissage. On ouvre la porte aux assureurs privés qui, eux, vont faire la régulation qui leur convient en indiquant aux assurés les soins qu’ils jugent opportuns (les coûts de gestion des assurances sont de 15 %, et de 5 % à la Sécurité sociale). La marchandisation de la santé est désormais appliquée de manière méthodique. D’une part on augmente progressivement la part des dépenses non remboursées pour « responsabiliser » les malades, mais toutes les études menées sur ce point ne montrent aucune « responsabilisation » et mettent seulement en évidence la fragilisation des plus faibles. D’autre part est menée une bataille idéologique avec un nouveau vocabulaire : « l’hôpital entreprise », « le médecin est un ingénieur », on donne donc tout le pouvoir à un directeur qui n’a aucune connaissance médicale, y compris celui de nommer les médecins, le malade est un « client », les praticiens doivent travailler en « flux tendus », les services sont remplacés par des «pôles» souvent incohérents qui font « des gains de productivité » et ne répondent plus à des besoins de santé mais « gagnent des parts de marché » ! En employant ce vocabulaire, on finit par penser de cette manière…

Les équipes médicales sont à supprimer, car l’encadrement doit désormais être distant des praticiens. Les structures de base de l’hôpital sont des « pôles de gestion » et non plus des équipements de soins. Enfin il faut créer un « prix de marché ». Il existe trois techniques de tarification : a. Le prix de journée (comme à l’hôtel) b. Le budget global (comme à l’armée) c. Le paiement à l’acte Il serait logique d’adopter la tarification la plus adéquate au type d’activité : le prix de journée pour les services d’accompagnement en fin de vie, le budget global pour les maladies chroniques, le paiement à l’acte pour les pathologies aiguës. Mais la loi HPST impose la tarification à l’activité, logique on ne peut plus inflationniste. Il est ainsi prévu une augmentation de 2,5 % par an d’activité hospitalière. La demande étant illimitée, on met en place un contrôle évidemment bureaucratique. Le budget santé est voté par le Parlement ; le financement devant tenir dans ce budget, si l’activité réelle dépasse le niveau prévu, les tarifs sont baissés, et si les tarifs baissent, il faut augmenter l’activité de manière inflationniste pour être financièrement en équilibre. Une vraie folie ! Les promoteurs du système ont la solution pour obtenir un « vrai » prix de marché qui équilibre l’offre et la demande: l’assurance privée. Les équipements étant de plus en plus chers et les personnels de plus en plus réduits dans le secteur public, les spécialités très coûteuses restent à l’hôpital et les autres sont assumées par le privé dans le cadre des Partenariats-Publics-Privés. Ainsi on voit s’installer des services privés au sein même de l’hôpital ! Un exemple réel : une banque construit gratuitement l’hôpital « Sud francilien » ; il paiera un loyer annuel de 40 millions € sur 30 ans, soit au total 1,2 milliard € ; il aurait coûté la moitié si l’on était passés par les marchés publics. Pour assurer ses loyers, il sera contraint d’accroître son activité de manière inflationniste ; à défaut, il devra être vendu…

La mort du Service public hospitalier Nous sommes donc embarqués dans la grande marchandisation de la santé, avec de puissants investisseurs privés qui s’y engagent pour y faire du profit et, pour ce qui concerne l’hôpital public, la déstructuration des équipes soignantes et la déshumanistion. Et dans les Agences régionales de santé, les bonnes consciences de gauche qui s’y trouvent encore n’auront d’autre choix que d’y recourir. Il est naïf de penser que cette loi peut garantir la régulation publique des établissements privés. Un secteur libéral lucratif ne peut pas rentrer dans une régulation publique, il est nécessairement en distorsion avec la logique publique et disposera de tous les moyens pour empêcher son fonctionnement. La preuve : durant les négociations préparatoires, les politiques ont très vite renoncé aux dispositions régulatrices qui contrevenaient aux intérêts de la médecine libérale. Les forces du privé sont plus puissantes que les « points d’appui » que la loi pourrait préserver. Le terme « Service public hospitalier » a disparu du texte, remplacé par « Etablissement de santé », ce qui est un signe idéologique parfaitement clair. Il est indispensable de revoir le dispositif hérité de 1945, mais alors un grand débat national est nécessaire pour reposer les questions essentielles : qu’est-ce qui relève de la solidarité nationale ? Voulons-nous plus de régulation publique ou plus de privatisation ? Peut-on avoir un Service public quand les valeurs qui le fondent ne sont plus les valeurs dominantes de la société ? C’est au peuple de s’approprier ce débat.


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