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Publié le Samedi 4 Décembre 2010 par MRC

Que penser de "Qu’ils s’en aillent tous !" de Jean-Luc Mélenchon ?



Une note de lecture de Clément Lacaille, militant du Mouvement Républicain et Citoyen, Fédération de Côte d'or.
Un titre aussi accrocheur n’est pas particulièrement intelligent. Les citoyens attendent un discours sérieux et responsable et non pas de la provocation médiatique. Voyons toutefois le contenu...


Que penser de "Qu’ils s’en aillent tous !" de Jean-Luc Mélenchon ?
L’Europe…l’Europe….
Dans ce livre au style incisif qui se veut mobilisateur pour une « révolution citoyenne », J.L.Mélenchon accomplit lui-même une révolution idéologique qui mérite d’être soulignée : « je dis adieu à mon fédéralisme » (p.43). La rhétorique européiste qui était la sienne, il la justifie aujourd’hui en ces termes : « L’Europe devait être le moyen de rétablir la souveraineté populaire mise en cause par la mondialisation et la puissance des Etats-Unis… Nos chefs pensaient que plus on avancerait l’intégration économique, plus en résulterait de l’intégration politique, c'est-à-dire de la démocratie… » (p.73). Lutter contre la mondialisation en se soumettant à la loi du capitalisme financier sans frontière, redonner au peuple sa souveraineté en l’aliénant au profit d’instances supranationales, comment des élites politiques peuvent-elles adhérer à tant d’absurdités ? Mais le réel lui ouvre maintenant les yeux : « Cette ligne reposait sur une erreur d’évaluation terrible…Nous avons-nous-mêmes lâché le monstre dans notre cour !...Cette Europe, c’est le problème … » (p.74 et 76). Reconnaître aussi clairement son erreur, courage très rare en politique, mérite d’être salué.

Déni de démocratie, destruction de notre modèle économique, démantèlement des services publics, privatisations, mise en tutelle des Etats, le procès qu’il fait de l’UE rejoint le nôtre ; mais il est remarquable qu’il se limite à une dénonciation de ses conséquences concrètes sans remonter à la cause fondamentale, le discrédit idéologique du pouvoir souverain des Etats-nations. J.L.Mélenchon le reconnaît implicitement en reconnaissant la nécessité de rejeter (par opt-out) les règles communautaires pour défendre les services publics, mettre fin à la libre circulation des capitaux, rendre à l’Etat la capacité d’orienter l’économie, donc sortir du traité de Lisbonne ; mais pourquoi ne pas affirmer haut et fort que le respect de la souveraineté nationale est la question capitale ? Là nous serions pleinement d’accord ! Or cela n’est qu’implicite…

Nous attendons maintenant que le Parti de Gauche modifie en conséquence son projet qui actuellement appelle de ses vœux une Europe de l’emploi, une Europe des services publics, une Europe laïque, une Europe sociale, une Europe de la diplomatie, etc, fondée sur une Constitution européenne, dirigée par un exécutif européen… Il en serait donc fini du refus réitéré de considérer la nation comme « le cadre premier de l’expression démocratique et de la solidarité », valeur essentielle à nos yeux, qui fit obstacle à l’accord pour les européennes ? Restons prudents. Mélenchon renonce avec regret à la souveraineté européenne dont il dit caresser toujours l’idée et la ressortir « si l’occasion historique se présente » (p.86). A quelle occasion ? Le rêve européiste n’est pas éteint. Son revirement est principalement conjoncturel et ne se situe pas (pas encore ?) au niveau du principe, ce qui en restreint la portée. Mais reconnaissons que cette évolution est significative.

Et la France ?
Si la souveraineté est essentielle pour le MRC, elle n’est pas le problème principal pour J.L.Mélenchon qui donne priorité (c’est le premier et le plus long chapitre) à une nouvelle Constitution pour la France, alpha et oméga de la révolution ! Son argument : la progression inquiétante de l’abstention, « plus personne ne croit en rien…ce qui est anéanti avec cet état d’esprit, ce n’est pas seulement le principe moral et politique du civisme, c’est le pays lui-même qui se dissout… Si nous renonçons à être citoyens, nous cessons d’être le peuple de cette Nation. Nous sommes seulement les occupants d’un territoire » (p.29). D’accord pour le constat, mais pas pour en faire la base de la rénovation politique. Il invoque un modèle : « …tous les pays de l’Amérique latine de la nouvelle vague démocratique ont commencé par convoquer une Assemblée constituante…des millions de pauvres se sont impliqués dans des milliers de débats à la base …et sont allés voter en masse pour élire les députés constituants…la Constituante en France sera une renaissance de notre peuple… » (p .26-27).

Les raccourcis de ces arguments sont surprenants. Nous sommes plongés dans une crise provoquée par la domination et l’effondrement d’une puissance financière à l’échelon planétaire, et le premier acte de sa subversion serait de discuter de nos institutions ! En quoi notre Constitution est-elle responsable des destructions d’emploi et des régressions sociales ?! Elle fut et sera le cadre de politiques tout à fait opposées. Qui osera poursuivre la mobilisation contre la réforme des retraites en appelant à une redéfinition des trois pouvoirs, de la loi électorale…, bien que des améliorations soient nécessaires sur certains aspects ? L’abstention résulte de l’impuissance de l’Etat et de l’échec de la fausse gauche autant que de la vraie droite devant la destruction de notre économie, et seul un discours volontaire pour rompre avec Lisbonne et recouvrer notre capacité à défendre nos intérêts économiques pourra retrouver la confiance du peuple. Quant aux évolutions évidemment très positives d’Etats dont l’histoire et la culture sont si différentes des nôtres, les prendre en exemples pour y puiser son énergie relève d’une démarche intellectuelle plutôt sommaire, semblable aux motivations invoquées pour s’enticher du paradis européen. Les possibilités de changer un système sont potentiellement contenues dans les failles inhérentes à ce système, et non pas dans l’importation de pratiques extérieures.

Quel changement constitutionnel demande J.L.Mélenchon ? « tourner la page du présidentialisme… car notre monarque nous indigne… et il faut s’en prendre au système qui a permis son avènement… » (p. 33). Changer la principale disposition de la Constitution par opposition à la personne qui en est présentement détentrice est une fois de plus une attitude irrationnelle, et l’élection au suffrage universel d’un président disposant de prérogatives étendues est un pouvoir auquel le peuple français n’est pas prêt de renoncer, pour des raisons historiques que de Gaulle avait mieux comprises que beaucoup de gens de gauche. Pourquoi n’indique-t-il pas les grandes lignes de ce que devrait être « un bon régime parlementaire stable » ? Faire campagne sur ce thème, et généralement pour un changement constitutionnel, ne mobilisera pas le peuple pour la prochaine présidentielle. Il ne faudrait pas s’en aviser trop tard.

Nous n’aurons pas de désaccord de fond à propos du chapitre sur le partage des richesses : redonner à la rémunération du travail ce que le capital lui a extorqué, imposer le capital autant que le travail, la suppression des stock-options, limiter l’échelle des revenus. En ce qui concerne la politique étrangère, nos positions sont semblables dans l’ensemble : s’affranchir de la dépendance politique, militaire et idéologique de nos dirigeants envers les Etats-Unis, reprendre nos distances avec l’OTAN « organe impérial des USA », rééquilibrer nos rapports avec l’Allemagne, développer des coopérations fortes sur la base des intérêts réciproques, refuser le « grand marché transatlantique ». A ce propos, comment J.L.Mélenchon concilie sa position de vice-président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen et le récent rapport que celle-ci publia demandant « un partenariat plus fort entre l’UE et l’OTAN…un marché transatlantique intégré… et un siège pour l’UE au Conseil de Sécurité » ?... La réponse est attendue.

Ses propositions sont en revanche très limitées. S’il dénonce avec justesse le rôle destructeur de l’OMC et du FMI, la volonté de puissance économique et militaire des USA, le seul objectif avancé est une coopération étroite avec la Chine afin de contrecarrer l’influence du G2 qui, à défaut de partenariats compensateurs, renforcerait sa domination sur l’économie mondiale. C’est exactement sur le refus de cette complicité Etats-Unis-Chine que débute le Programme de Salut Public du MRC. Négocier un nouvel étalon monétaire, un rééquilibre entre exportation et consommation intérieure, des normes environnementales, avec ce géant asiatique serait en effet de bonne politique. Mais silence sur l’enjeu majeur d’accords économiques et industriels avec la Russie, indispensables pour la sécurité de l’Europe et l’équilibre même de la Russie vis-à-vis de l’Asie ; silence sur une véritable coopération avec l’Afrique afin de faire obstacle à sa colonisation économique, sur l’importance de partenariats avec les Etats d’Amérique du Sud, spécialement le Brésil. Cela vaut bien plus qu’une Constituante.

Désarmer ne concerne que le nucléaire (p.131), alors que la défense anti-missile de territoire (où nous entraîne l’OTAN) et son corollaire la militarisation de l’espace ne sont pas abordés. La politique de défense de la France exige plus qu’une bonne intention.

« L’écologie politique pose avant tout une exigence de rationalité et de responsabilité… » (p.92), position très juste, à condition de préciser que cette rationalité signifie le respect du statut scientifique de l’écologie. Que pense alors J.L. Mélenchon de la rhétorique écologiste plus ou moins apocalyptique qui se pose comme l’unique vision globale et universelle de l’avenir de l’humanité ? Face à l’idéologie écologiste, on aimerait qu’il précise comment il articule les problèmes environnementaux avec les questions sociales. Prône-t-il la décroissance ? Nous partageons son refus du capitalisme vert, mais s’il fustige les biocarburants et les droits à polluer, il fait l’impasse sur les illusions et les coûts des éoliennes et du photovoltaïque, sur la privatisation forcée d’une partie de la production d’EDF.

« Le libre-échange doit cesser » (p.99)… « nous n’aurons pas peur de taxer certains biens aux frontières en fonction des conditions économiques et sociales de leur production » (p.101), donc nous nous retrouvons sur la même ligne pour rétablir des frontières et instaurer un protectionnisme raisonnable ? Mais pourquoi ne poser ce principe que dans le chapitre sur l’écologie ? Il concerne tous les échanges économiques et, une fois de plus, requiert une souveraineté nationale intacte.

La position sur le nucléaire va ravir tous les opposants à cette énergie. Affirmer, sans argument scientifique, sans étude chiffrée, que les économies d’énergie et la géothermie seront capables de se substituer totalement au nucléaire, et qu’ainsi « l’indépendance énergétique serait assurée pour toujours » (sic, p.106), grâce à cette unique source, voilà qui pèche sérieusement quant à la rationalité et la responsabilité du propos. Qu’en pensent les scientifiques ?


En définitive, la priorité donnée au débat sur les institutions, le manque de rigueur de certains arguments, la limite ou l’absence de position en dépit de constats justes, confirment nos réserves à l’égard de son projet politique. En revanche, son retour à une conception nationale du projet politique apparaît comme une avancée importante dont on peut espérer qu’elle favorisera nos échanges au sein de la gauche. Conversion sincère ou posture intéressée ? Le fait objectif de son évolution semble plus important que ses attendus individuels.

Ceci pour contribuer au débat.

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"Qu’ils s’en aillent tous !", Jean-Luc Mélenchon, Flammarion, 2010

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