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Publié le Mercredi 15 Octobre 2008 par MRC

La réussite scolaire des filles : à quand la traduction dans le monde du travail ?



En 1900, l’université comptait 642 étudiantes ; en 2005, elles étaient de 719 000, soit 182 000 de plus que les étudiants. La percée des filles au sein de l’institution scolaire est indéniable, elle ne s’est jamais démentie au cours du siècle et se poursuit aujourd’hui. Elle mérite que l’on s’y intéresse d’autant plus, que cette réussite sans précédent ne trouve pas sa traduction dans le monde du travail.


Egalité républicaine et responsabilités du politique
L’école laïque qui intègre, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs les filles et les garçons, démontre de la plus belle manière la force et la pertinence des valeurs universelles dont elle est porteuse. Quasi exclues de l’éducation donnée aux garçons, il y a, à peine plus d’un siècle, les filles font aujourd’hui jeu égal avec eux. C’est une joie et une fierté pour ceux qui ont toujours défendu cette institution, outil fondamental de l’égalité républicaine et de la promotion par le mérite !

Il reste à transformer l’essai, notamment en donnant aux femmes des possibilités de carrières professionnelles identiques à celle des hommes. La société tout entière sera gagnante à réserver aux femmes la place qui leur revient. Il serait en effet contre-productif de former les femmes et de les cantonner ensuite dans des rôles subalternes ou même de brider leur progression. Voici donc quelques axes de réflexion :

Au sein de l’institution scolaire
- Mener des campagnes d’information auprès des élèves et de leurs parents pour que l’orientation, à l’issue de la classe de seconde, soit véritablement basée sur les savoirs des élèves, non sur une sous (ou sur) estimation d’eux-mêmes, non sur une anticipation des charges futures. En effet, c’est lors de l’orientation à l’issue de la classe de seconde que les filles choisissent massivement des filières moins prestigieuses que les garçons.
- Ouvrir les filières scientifiques et techniques ; ce qui suppose, par ailleurs, une politique industrielle audacieuse.
- Etablir des passerelles entre les filières littéraires et les filières techniques ou professionnelles qui favoriseraient la mixité tout en diversifiant les savoirs.
- Sensibiliser les responsables d’éducation sur l’aide à apporter aux garçons afin qu’ils intègrent mieux les règles de l’apprentissage scolaire.

Dans l’univers économique
L’écart salarial entre les sexes trahit un manque de réactivité des entreprises face à l’évolution de la société. Alors que l’école, même au travers d’une mixité inachevée, donne aux filles les mêmes chances que les garçons, l’entreprise peine à se défaire de modes de fonctionnement traditionnels où les cadres sont libérés d’une bonne part des contraintes familiales. Il ne faudrait pourtant pas jeter la pierre aux seuls entrepreneurs. En effet, l’entreprise, tenue qu’elle est par la concurrence et l’obsession de la meilleure rentabilité à court terme, hésite souvent à investir dans le capital humain. On peut le déplorer mais c’est ainsi ! Il est donc du rôle de l’Etat, entre incitations et contraintes, d’aider à une évolution des entreprises. Il faut :
- Une politique familiale audacieuse et innovante avec évidemment les équipements sociaux pour la petite enfance et pour la jeunesse mais aussi des lois permettant aux hommes de jouer leur rôle de parent au même titre que les femmes. Aujourd’hui les congés d’éducation sont en théorie proposés aux deux parents mais face aux inégalités professionnelles, les couples optent très majoritairement pour un congé maternel. Choix qui alimente les inégalités ! La mise en place d’un congé rémunéré du père en alternance avec celui de la mère devrait être étudiée.
- La loi du 9 mai 2001, dite loi Génisson, exige que le rapport annuel de situation comparée présenté au comité d’entreprise dresse un bilan de la situation respective des femmes et des hommes. Mais sans pouvoirs autres que consultatifs que peuvent faire les syndicalistes une fois les inégalités constatées et déplorées ? La question se pose du pouvoir réel des forces sociales au sein de l’entreprise.

Emblème républicain par excellence, l’école a transmis aux filles, peut-être à leur insu, le goût de l’insoumission à l’égard des rôles dans lesquels la société traditionnelle les cantonnait. Le diplôme, arme des plus démunis, est devenu pour elles (comme d’ailleurs pour les enfants d’ouvriers) l’outil de leur émancipation. Mais l’aventure n’est pas totalement écrite, il reste à la société tout entière, pour son plus grand profit, à se saisir de cet immense progrès.

Pour une information plus complète sur le sujet lire l’annexe ci-dessous.

ANNEXE :

Premiers constats au sein de l’institution scolaire
La performance scolaire des filles est le résultat d’un long et constant travail.
- A l’école primaire, le redoublement des filles est moins fréquent que celui des garçons.
- Au collège, elles font, moins souvent que les garçons, l’objet d’une orientation vers des filières courtes : un garçon sur trois n’atteint pas la classe de quatrième alors que ce n’est le cas que d’une fille sur cinq.
- Elles arrivent plus nombreuses au lycée et obtiennent, au baccalauréat, des résultats d’ensemble légèrement supérieurs.

Les progrès scolaires des filles s’observent dans toutes les classes sociales sans pour autant les bousculer.
Les tests d’évaluation mis en place par l’Education nationale dès la rentrée 1989 ont démontré que : « les élèves à l’heure, filles et garçons, réussissent mieux que les élèves en retard, filles et garçons ; les enfants de cadres, filles et garçons, obtiennent à ces épreuves des scores supérieurs à ceux des enfants d’ouvriers, filles et garçons. » (1)

Incidemment, on peut souligner ici que les mesures prises par le Ministre de l’Education nationale, Monsieur Xavier Darcos, et dont l’objet est de réduire le nombre d’heures d’enseignement dispensées aux élèves, ne vont certainement pas améliorer cet état de fait.

La supériorité scolaire des filles atténue, davantage que chez les garçons les effets de l’origine sociale sur le cursus scolaire.
Elles sont plus souvent bachelières que les garçons : depuis 1980, tout type de baccalauréat confondu, le pourcentage de réussite est supérieur chez les filles. En 2007, il se répartissait de la manière suivante : bac général, 86,5 % pour les garçons, 88,6 % pour les filles ; bac technologique, 79,1 % pour les garçons, 79,5 % pour les filles ; bac professionnel, 77,7 % pour les garçons, 79,6 % pour les filles. En 2007, tous bacs confondus, il y a eu 82,1 % de bacheliers contre 84,6 % de bachelières. (2)

Cependant, les chiffres globaux masquent une disparité en défaveur des filles.
Pour le seul cursus de licence, les femmes sont 73,2 % en « Lettres, sciences du langage, arts » et 74,7 % en « Langues » mais seulement 29,1 % en « Sciences fondamentales et applications » (3). Malgré de meilleurs résultats scolaires, au moment de choisir une spécialisation, les filles ont tendance à délaisser la voie scientifique, prometteuse d’un travail mieux rémunéré, pour les filières littéraires jugées moins exigeantes. Il nous appartient d’analyser ce paradoxe pour ébaucher des solutions correctives.

Comprendre les tensions sociologiques à l’œuvre
Les sociologues Christian Baudelot et Roger Establet, notamment, ont étudié ce phénomène. Voici quelques éclaircissements apportés par leurs travaux.

En minorité dans les filières scientifiques du supérieur, les filles font approximativement jeu égal avec les garçons aux tests de mathématiques en CE2 puis en sixième. Et si l’écart se creuse un peu en troisième, il faut tenir compte du fait que les garçons les plus faibles ont été exclus de la filière générale dès la fin de la cinquième ce qui n’est le cas que d’une proportion plus faible de filles. Le déséquilibre des orientations ultérieures n’est donc pas le fait d’un moindre goût des filles pour les matières scientifiques.

Les enquêtes sociologiques menées auprès des collégiens et des lycéens ont en revanche démontré que, majoritairement, l’éducation donnée aux filles (intériorisation des règles établies, attention portée aux autres) les prépare mieux à l’apprentissage scolaire que celle dispensée aux garçons davantage tournée vers la compétition et la confrontation avec autrui. Pour illustrer ce propos, dans le domaine du sport, on pourrait dire : aux filles l’entraînement individuel (gymnastique, danse…), aux garçons les compétitions de foot. Il s’agit de tendances majoritaires évidemment qui peuvent être aisément contredites par des exemples individuels !

Dans l’enseignement général, le clivage s’effectue en seconde au moment des choix de filière, les filles anticipant les futures charges familiales hésitent à s’engager dans une carrière scientifique dont elles surestiment certainement les exigences. A ce moment précis du choix de filière, les garçons sont, en revanche mieux armés que les filles, entraînés qu’ils sont à la compétition et à l’affrontement avec autrui. Pour eux aussi, l’anticipation des responsabilités futures (assurer la charge financière d’une famille) semble déterminante puisque 63 % des lycéens (contre 49 % des lycéennes), se déclarent, en premier lieu, préoccupés par l’argent que rapportera leur futur métier.

Dans l’enseignement professionnel, la séparation, pour ne pas dire la ségrégation, se fait dans le choix des filières, perpétuant à l’envi les schémas traditionnels. Habillement, textiles, hôtellerie et collectivité, soins aux personnes, secrétariat… sont des secteurs quasi exclusivement féminins. En revanche, le bâtiment, l’électricité, la mécanique générale, le travail du bois, l’électronique… restent la chasse gardée des hommes.
Ces choix scolaires réalisés par les filles et les garçons sont une première donnée (elle n’est pas la seule) pour expliquer d’une part des salaires féminins inférieurs aux salaires masculins et d’autre part une absence quasi-totale des femmes dans les lieux de pouvoir. Cependant, d’autres facteurs contribuent au retard salarial des femmes…

La famille et l’entreprise sont en retard sur l’école
« La création de concours mixtes aux différentes agrégations en 1976 a créé une situation quasi expérimentale : en 1976, la mixité a aggravé les handicaps des filles dans la plupart des disciplines. Dix ans plus tard, les femmes avaient nettement réduit les écarts en lettres et dans l’ensemble des disciplines scientifiques et techniques. Le seul cas de retard notable (2,5 % d’écart) concerne les langues vivantes. Les normes de la compétition agrégative ont donc été intégrées par les candidates ! » (4)

Il est évident que les femmes, ayant gagné dans l’institution scolaire, une reconnaissance qui leur assure désormais une place dans la vie économique, vont continuer de bousculer les modes d’organisation traditionnels tant dans la famille que dans le monde du travail. Il reste à cerner où persistent encore des facteurs de blocages.

Au sein de la famille, les femmes accomplissent encore l’essentiel des tâches ménagères et d’éducation des enfants.
Cependant des signes encourageants sont à relever : plus le niveau culturel est élevé et plus le partage des tâches est important, qu’il s’agisse des tâches matérielles ou d’éducation. Les pères accordent un intérêt croissant à l’éducation de leurs enfants. La famille traditionnelle, celle où l’on naissait et mourrait à la maison, celle qui s’organisait autour d’un moyen de production, transmis au fil des générations et assurant la survie de chacun des membres, celle où chacun avait un rôle bien défini ; cette famille là, cède le pas à la famille moderne où le premier legs à ses enfants est culturel. Ainsi, quand les deux parents sont instruits, leurs responsabilités à l’égard des enfants sont plus indifférenciées.

Au sein de l’entreprise, la première préoccupation – la meilleure rentabilité à court terme – laisse peu de place à la réflexion pour des organisations innovantes prenant en compte l’arrivée massive des femmes dans le monde du travail.

Nous avons déjà souligné que les femmes s’orientent majoritairement vers des secteurs moins rémunérés, explication à des salaires féminins globalement inférieurs. Cependant, les statistiques prouvent que pour un même niveau social, les femmes demeurent moins bien payées que les hommes. Une étude réalisée en 2004 par Alternatives économiques, d’après des données de l’INSEE sur l’année 2001, indique un écart du salaire horaire net toujours en défaveur des femmes : chefs d’entreprise 54,7 % ; cadres supérieurs 27,9 % ; professions intermédiaires 13 % ; employés 7,2 % ; ouvriers 18,2 % (5). On le voit, l’écart le plus important se situe dans les strates supérieures de la hiérarchie des emplois, là où les femmes sont le moins nombreuses.

Au-delà de la constatation, les raisons de la persistance de l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes sont une affaire complexe. La stagnation généralisée des salaires en est une première explication. De plus, certaines politiques ont eu des effets pervers sur l’emploi des femmes. Ainsi en 1994, la réforme de l’Allocation parentale d’éducation (APE) a-t-elle eu pour conséquence de faire sortir du système économique nombre de femmes parmi les moins qualifiées, creusant un écart plus grand entre les femmes elles-mêmes. Dans un article paru en 2006, Dominique Meurs et Sophie Ponthieux (6) analysent les composantes de l’écart des salaires entre les hommes et les femmes :
- L’employeur rémunère la productivité des individus ainsi que leur investissement personnel dans l’appareil économique. Appliquée à la rémunération des femmes, cette règle anticipe que ces dernières, en partie absorbées par les charges familiales, sont moins productives que les hommes et fournissent moins d’effort de formation.
- La discrimination explique, ce qui dans la différence de rémunération ne provient pas de la productivité des travailleurs mais de leur appartenance à un groupe ; elle peut être le fait des employeurs, des consommateurs ou des salariés eux-mêmes. Elle peut expliquer des salaires d’embauche, globalement inférieurs ; employeur potentiel et candidate anticipant les conséquences d’une future grossesse.
- L’ancienneté et l’accumulation d’expérience sont également des éléments pris en compte pour la rémunération. Or, comme le montrent les études sur le calcul des retraites, les interruptions de carrières sont très inégales pour les deux sexes.
- Enfin et surtout, la durée hebdomadaire du travail est un facteur explicatif de l’écart de rémunération. Le temps partiel, majoritairement assuré par les femmes est globalement moins bien rémunéré que le temps plein. Et, à propos des travailleurs à temps plein, les hommes travaillent, en moyenne, plus longtemps que les femmes.

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1) Christian Baudelot, Roger Establet : Allez les filles ! Une révolution silencieuse – Points – Nouvelle édition mise à jour, 2006
2) Source Ministère de l’Education nationale – Résultats, diplômes, insertion ] Repères et références statistiques – édition 2008 ]
3) INSEE – Source : Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance (Depp) – Etudiants des universités par discipline et par cursus selon le sexe
4) Christian Baudelot, Roger Establet : Allez les filles ! Une révolution silencieuse – op. cit.
5) Source : Observatoire des inégalités, http://www.inegalites.fr/spip.php?article301
6) Dominique Meurs, Sophie Ponthieux : Economie et statistique no 398-399, 2006

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