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Publié le Dimanche 31 Octobre 2010 par MRC

Égalité des chances et École républicaine : la fin d’une utopie française ?



À droite, des ultra-libéraux pour qui l'école est inefficace et coûte trop cher : sans mise en concurrence et tri très sélectif, point de salut. À gauche, les "progressistes" pour qui la solution réside dans la seule augmentation des moyens alloués à une école qui se doit d'être ludique et plaisante. L'enfer est pavé de bonnes intentions... Pour Claire Mazeron, l'école républicaine, le choix de la transmission et de l’exigence, demeure la seule issue.


Égalité des chances et École républicaine : la fin d’une utopie française ?
Intervention de Claire Mazeron, lors de l'Université d'été du MRC à Valence, le 5 septembre 2010.


1. Le paradoxe

Je voudrais commencer par donner quelques chiffres qui pourraient laisser penser que l'école a relevé le défi de la démocratisation :

− en 1970, 20% d’une génération avait le baccalauréat. En 2005, le chiffre est passé à 62,5%.
− le taux de réussite bac était de 60% en 1960, il est de 82% aujourd'hui.
− en 1985 : 50% des élèves d’âge théorique en seconde contre 67,5% en 2005.

Pour autant, la massification n'a mené ni à la démocratisation, ni à l'élévation du niveau de compétences.
Si on considère le dernier chiffre que je viens de citer, on doit savoir que le redoublement en 5ème, par exemple, est passé de 10,8% en 1996 à 3,6% aujourd'hui...

a. Massification sans démocratisation

En 2004, les cadres représentaient 11% de la population française mais 47% des étudiants des grandes écoles étaient des enfants de cadres. Les enfants d'ouvriers, eux, représentaient 3% de ces mêmes étudiants, alors que les ouvriers comptaient pour presque un quart de la population française.

En 2005, on notait 15 points d’écart aux évaluations de 6ème entre enfants de cadres et d’ouvriers.

Les chiffres se sont dégradés depuis 40 ans.


b. Diplômation sans qualification

Rapport HCE 2007 : 40% d’élèves sortant de CM2 ne seraient pas en mesure de suivre une scolarité au collège dans de bonnes conditions.

Rapport DEPP - janvier 2009 : en lecture, deux fois plus d’élèves de CM2 (21%) se situent au niveau des 10% les plus faibles en 1987.
Pour la même dictée effectuée, 26% des élèves comptabilisaient plus de 15 erreurs en 1987, contre 46% en 2007.

Classement PISA 2003 :

Égalité des chances et École républicaine : la fin d’une utopie française ?
c. Davantage de « citoyenneté », toujours plus de violences

Troisième paradoxe : alors qu'on parle sans arrêt de « valeurs citoyennes » à l'école, il n'y a jamais eu autant d'actes violents.


2. C’est la faute à…

a. ...pas assez de moyens ?

C'est ce dont le PS a fait son cheval de bataille depuis des années. Or, entre 1973 et aujourd'hui, les moyens ont été multipliés par 2. La France dépense bien davantage pour les élèves du primaire et du secondaire que la majorité des pays de l'OCDE.

Égalité des chances et École républicaine : la fin d’une utopie française ?

Égalité des chances et École républicaine : la fin d’une utopie française ?
Pas assez de moyens pour ceux qui en ont le plus besoin ? Sans doute, mais les moyens investis dans les ZEP - dont le nombre ne cesse d'augmenter au point que l'on compte aujourd'hui presque 45% d'élèves en ZEP par Académie - ne produisent pas les résultats escomptés.

Égalité des chances et École républicaine : la fin d’une utopie française ?
Pourcentages de réussite aux items de français et de mathématiques à l'entrée en sixième selon le type d’établissement fréquenté - France métropolitaine, septembre 2005 (MEN, 2005).


b. ...l’évolution de la société ?

On invoque souvent la responsabilité des jeux vidéos, de la télé, du chômage, des parents, ou même une « incompatibilité culturelle »...

c. ...aux « pesanteurs scolaires » : élitisme républicain et professeurs d’un autre âge ?

L'échec scolaire serait dû à plusieurs facteurs : des programmes trop chargés, des horaires trop lourds, les redoublements, la sélection, les méthodes trop directives des professeurs ou encore leur obstination à enseigner leur discipline...
On a même recours à l'idée d'une « constante macabre » selon laquelle les professeurs réserveraient inconsciemment un certain pourcentage de mauvaises notes à leurs élèves, poussés par la pression sociale...
Enfin, les enseignants seraient trop attachés à leur statut et à leurs horaires, donc responsables de l'échec des élèves.


3. Vrais problèmes, fausses solutions : de l’égalité à l’égalitarisme

a. Céder à la société

On peut noter plusieurs dérives, qu'il s'agisse de

− succomber aux modes : les TICE (technologies de l'information et de la communication dans l'éducation) sont servies à toutes les sauces. Certes, elles sont un outil intéressant, mais pas une fin ni un objectif en soi.
− s’adapter aux comportements violents voire les tolérer, au point que certains établissements sont devenus des zones de non droit.
− faire entrer les parents à l’école, ce qui fait entrer la société à l'école et éclater son cadre. Les établissements n'ont pas à s'adapter localement et à répondre aux demandes des parents.
− faire éclater le cadre national de l’enseignement.

b. Repenser les exigences

Un certain nombre de réformes et de mesures contribuent à casser l'école :

− la révision à la baisse des programmes et des contenus d’examen. Par exemple, la grammaire et l'orthographe ne donnent plus lieu à aucune évaluation ni sanction.
− les quotas de réussite fixés à l’avance et l'institutionnalisation du «passe-dégage », tout comme la « remédiation perpétuelle », qui ne font qu'abaisser le niveau d'exigence et font en sorte que plus aucun élève ou presque ne redouble quel que soit son niveau.
− la révision des « rythmes scolaires ». On cherche systématiquement d'autres modèles jugés moins harassants ou plus propres à l'épanouissement. Le système allemand fait aujourd'hui figure de modèle, alors même que l'Allemagne est précisément en train de le remettre en question.
− le type d'évaluation préconisé : on n'évalue plus les connaissances mais les « compétences ». Le socle commun défini par le Ministère demande d'évaluer non plus des savoirs ou des savoir-faire mais des « savoir-être ». Désormais, ce qui compte est de faire preuve d'esprit d'initiative ou de savoir travailler en groupe, concepts qui nous viennent droit du monde de l'entreprise.


c. Changer le métier de professeur

Il est grand temps de redonner au professeur le rôle qui lui revient, à savoir d'instruire, de transmettre des savoirs et des savoir-faire.

− la promotion des « méthodes actives » et des pédagogies constructivistes fait de l'élève l'artisan de sa propre éducation : on lui demande de construire le cours tout seul.
− le développement de l’inter/pluri/trans-disciplinarité casse les compétences propres aux professeurs : ces derniers se voient sommés de faire des « projets » fourre-tout, où il s'agit d'enseigner tout en même temps, la géographie et les sciences par exemple.
− l'enseignant a été transformé en animateur socio-culturel sans compétence disciplinaire particulière – avec horaire et salaire en conséquence...
− le professeur est mis au pas via l’autonomie de l’établissement et le conseil pédagogique, qui accordent davantage de place et de crédit aux chefs d'établissement, aux personnels de l'éducation et aux parents quand il s'agit de juger de l'acquisition des savoirs.

Conclusion : fin de l’Ecole républicaine, hasard ou complot ?

• Une alliance contre-nature
Ce système regroupe des gens des droite et de gauche. A droite, les ultra-libéraux, pour qui l'école coûte trop cher et selon qui la mise en concurrence des établissements permettrait de faire le tri. A gauche, l'élève est mis au centre et l'école doit être ludique et plaisante. L'enfer est pavé de bonnes intentions, et on confond ici l'objectif, à savoir la construction de citoyens et la liberté, et le moyen : les pédagogistes de gauche souhaitent que la liberté soit, d'emblée, un moyen.
Cette alliance droite-gauche doit être contrée.

• Le risque libéral, la charité contre l’égalité
Si l'école vise l'égalité des chances, ce n'est certainement pas en faisant la charité aux élèves issus des milieux les moins favorisés qu'elle accomplira sa mission. La charité telle que la pratique Descoings à Sciences Po, où les boursiers se voient admis sans passer le concours d'entrée, doit être combattue.

L’opportunité républicaine, le choix de la transmission et de l’exigence, demeure la seule issue. Contrairement à ce que préconisent des associations telles qu'SOS Education ou Créer son école, l'école républicaine fonctionne et le salut ne viendra pas de son démantèlement.

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Claire Mazeron est professeur agrégé de géographie et Vice-Présidente du SNALC (Syndicat national des lycées et collèges). Membre du jury du CAPES, elle siège également au Conseil Supérieur de l'Education. Elle est l'auteur d'une Autopsie du Mammouth - L'éducation nationale respire-t-elle encore ?, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2010.

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