Mercredi 27 Novembre 2013

De l’Euro monnaie unique à l’Euro monnaie commune.



Les économistes sont de plus en plus nombreux à considérer qu’une cause principale des problèmes économiques que rencontrent de nombreux pays, dont le notre, est l’Euro monnaie unique. Certains proposent de revenir au Franc ce qui, dans le monde ouvert dans lequel nous vivons, ne manquerait pas de confronter notre pays à d’insupportables difficultés. Une autre solution, est le passage de l’Euro monnaie unique à l’Euro monnaie commune. Cette solution permettrait d’adapter la monnaie à l’économie réelle de chaque pays de la zone Euro. Elle apporterait une dynamique adaptée à chacun en permettant une dévaluation pour certains et une réévaluation pour d’autres. Alors que des économistes mettent en avant la difficulté de cette transformation et les risques pour l’Europe, Claude Gnos, chercheur associé à l’Université de Bourgogne et à l’International Economic Policy Institute (Canada), propose dans le texte ci-joint un scénario qui montre la possibilité et même la simplicité d’un tel passage.
Ainsi nous proposons à votre réflexion le texte suivant :



Les pays en manque de compétitivité sont contraints, pour tenter de contrer les effets d’un euro trop fort pour eux, d’adopter des politiques de déflation des salaires et des prestations sociales qui, outre les problèmes sociaux qu’elles impliquent, nuisent gravement à la croissance en réduisant la demande solvable intérieure. Faut-il pour autant appeler à la dissolution de la zone euro ? Il existe heureusement une solution moins dramatique. Le système monétaire de l’euro, tel qu’il existe, offre en effet l’opportunité de mettre en place des taux de change ajustables au sein de l’Union monétaire européenne qui soient compatibles avec le niveau de compétitivité des économies nationales.

Pour présenter cette solution, il convient tout d’abord de rappeler que l’euro (hors pièces et billets), comme n’importe quelle monnaie étrangère sur son territoire national, est émis par toutes les banques implantées dans la zone. Il figure sous la forme de dépôts inscrits au passif des banques et détenus par leurs clients. Et tous les euros ainsi émis ne sont pas équivalents par nature ou en raison de leur dénomination ; ils sont rendus équivalents grâce à l’appartenance des banques à un même système monétaire organisé autour de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui joue le rôle de banque des banques ordinaires (ou « secondaires ») et à cet effet crée ses propres euros, les euros centraux.

Soit un exemple très simple. Une banque, la Société Générale, accorde un crédit de 1000 € à un client. Elle inscrit ainsi une créance sur l’emprunteur à l’actif de son bilan et un dépôt de même montant au passif. Ce dépôt constitue précisément une somme de 1000€ dont l’emprunteur va se servir pour régler un créancier qui est, disons, résident en Allemagne et client de la Deutsche Bank. Il en résulte, en termes économiques, une offre d’€ SG qui fait face à une demande d’€ DB : le créancier qui est réglé à partir du dépôt en euros du client de la SG exige d’obtenir un dépôt en euros auprès de la DB. Si l’on était sur le marché des changes, cela pourrait se traduire par une dépréciation des euros offerts (les euros SG) et une appréciation des euros demandés (les euros DB), en fonction des quantités totales demandées et offertes de chaque monnaie. Il n’en est rien dans notre exemple parce que la SG et la DB appartiennent au même système monétaire et disposent ainsi d’un compte auprès de la BCE (en fait, auprès des banques centrales nationales qui agissent pour le compte de la BCE). En réglant immédiatement ou en fin de journée la DB en euros inscrits à son compte auprès de la BCE, la SG reprend littéralement les euros qu’elle a créés et les annule, tandis que la DB crée des euros DB en contrepartie des euros centraux reçus. Contrairement à ce qui se passerait sur le marché des changes, l’euro SG et l’euro DB ont ainsi un taux de change parfaitement fixe, égal à l’unité, les deux monnaies ne pouvant faire l’objet, in fine, d’une offre ou d’une demande excédentaire. Les comptes des banques auprès de la BCE sont alimentés à partir des opérations de refinancement ou de crédit que cette dernière leur accorde et aussi à partir de prêts de monnaie centrale que les banques s’accordent entre elles sur le marché monétaire.

A partir du système que nous venons de décrire brièvement, on peut très bien proposer que les euros émis dans un pays donné ne soient pas changés en euros centraux au taux de 1 pour 1, mais par exemple au taux de 1,2 pour 1. On l’a vu, le système empêche la formation d’offres ou de demandes excédentaires : le taux adopté par le pays membre – nommons-le « pays A » - qui dévalue ainsi sa monnaie ne peut être remis en cause par les marchés. Cela suppose également que l’euro ainsi dévalué ne se présente pas sur le marché des changes: à cet effet, il suffit que les banques du pays A soient contraintes de se refinancer en euros centraux (auprès de la BCE ou sur le marché monétaire) lorsqu’elles doivent effectuer pour le compte d’un client un règlement à destination d’un pays étranger (Européen ou non), en euro ou en une devise étrangère (dans ce dernier cas elles achètent les devises contre les euros centraux qu’elles se sont procurés). Symétriquement, lorsqu’elles reçoivent un règlement issu de l’étranger pour le compte d’un de leurs clients, elles devraient céder les devises reçues (si le débiteur étranger ne paie pas directement en euros) contre des euros centraux en contrepartie desquels elles créditeraient leur client en euro internes (pays A). Il s’agit ainsi d’une solution essentiellement technique qui intéresse l’organisation des paiements réalisés par les banques et qui agirait somme toute en arrière plan par rapport aux opérations effectuées, comme auparavant, par les citoyens du pays A de notre exemple.

Monnaie unique, l’euro est actuellement la monnaie des paiements intérieurs et extérieurs des pays-membres. Selon le schéma proposé ici, l’appellation « monnaie commune » renvoie au fait que des pays-membres utilisent deux euros distincts dans leurs transactions intérieures et extérieures. Les euros émis dans les économies nationales, auxquels serait accolé un signe distinctif (« euro A », dans l’exemple), peuvent désormais être réévalués ou dévalués par rapport à l’euro central qui reste leur dénominateur commun et la monnaie des paiements extérieurs de l’ensemble des pays-membres, la seule présente sur le marchés des changes face aux devises étrangères. Bien entendu, en fonction de l’évolution de la compétitivité des pays européens les uns vis-à-vis des autres, le taux de change des euros intérieurs pourrait être ajusté par exemple sur une base de deux ou trois ans, voire plus. Ce schéma a aussi l’avantage d’une grande souplesse puisque peuvent coexister des pays dont l’euro serait la monnaie unique et des pays pour lesquels l’euro serait seulement la monnaie commune. Ces derniers pourraient en outre rejoindre le premier groupe de pays si, à un moment donné, leur situation économique ne justifiait plus l’application d’un taux spécifique (il suffit de revenir à un taux de change de 1 pour 1).

La proposition d’instituer une monnaie commune en Europe n’est pas nouvelle. Plusieurs propositions avaient été formulées dans les années 1980-90 face au projet de monnaie unique. Pour l’essentiel, ces propositions étaient largement inspirées des mécanismes du système monétaire européen (SME) et reprenaient la conception du panier de monnaies servant de référence à l’ECU (European Currency Unit). L’originalité du schéma proposé ici est de montrer que les mécanismes et institutions mis en place pour la monnaie unique offrent une opportunité de réintroduire des taux de change ajustables en Europe, sans avoir à revenir à des mécanismes de change dont l’efficacité a été toute relative au temps du SME ou encore à la conception complexe d’un panier de monnaies. On notera également qu’étant assurée par les mécanismes liant les banques domestiques et la BCE, la fixité des taux de change ainsi définis ne serait pas dépendante de mesures restrictives en matière de circulation des capitaux (contrôle des changes).



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