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Publié le Dimanche 6 Septembre 2009 par

Rupture !



Éléments pour l’intervention de clôture de Jean-Pierre Chevènement, Université d’été du Mouvement Républicain et Citoyen, Toulouse, le 6 septembre 2009.


Rupture !
Je veux tout d’abord remercier Thierry Cotelle, maire adjoint de Toulouse, Patrick Quinqueton, secrétaire national du MRC, ainsi que Jean-Luc Laurent, Secrétaire national à la Coordination, et son équipe. Sur eux a reposé l’organisation de cette université d’été. Merci également à tous nos intervenants, et notamment à nos invités extérieurs : Paul Quilès, ancien ministre, Arnaud Montebourg, député, Jean-François Kahn qui aurait pu être député européen s’il avait voulu, Paul Thibaud, philosophe, Jean-François Knepper, syndicaliste, Président du Comité européen Airbus, Liem Hoang Ngnoc, économiste et député européen. Merci aussi à notre ami Pierre Cohen, maire de Toulouse et Martin Malvy, Président de la région Midi-Pyrénées qui ont bien voulu intervenir à l’ouverture de nos travaux. Merci à vous tous qui êtes venus nombreux de toute la France.

Face à la crise d’un système, celui du capitalisme financier mondialisé, nous avons besoin d’une réponse républicaine pour la France mais aussi pour le monde.


I – Une crise de la mondialisation

A) Il ne faut pas se tromper sur l’analyse. Le problème n’est pas celui de la moralisation du capitalisme, celui des bonus, tout cela est, bien entendu, scandaleux mais le problème est plus profond. La déflation salariale, qui est à l’origine du surendettement des ménages américains, a des causes : La principale, est dans un libre-échangisme effréné, dans la liberté donnée aux multinationales de mettre en concurrence les territoires et les mains d’œuvre. Le rapprochement Chine/Etats-Unis intervenu à la fin des années soixante-dix du précédent siècle, a joué un rôle essentiel dans cette fuite en avant du capitalisme vers l’exploitation du travail à bas coût. Certains évoquent aujourd’hui la Chinamérique ou encore le G2 : cette expression est inadéquate pour traduire la réalité d’un monde multipolaire beaucoup plus complexe. Mais il est vrai que ce soi-disant G2 a une réalité : c’est la parité fixe entre le yuan et le dollar. L’Administration Obama a renoncé à demander une réévaluation du yuan. Ce renoncement exprime un rapport de forces. La Chine tient le dollar à sa merci. Cette réalité géopolitique aussi est au cœur de la crise.

La mondialisation financière a fonctionné dans l’intérêt des multinationales et du capital spéculatif avec une monnaie mondiale, le dollar, qui a été gérée par les Etats-Unis comme si c’était seulement leur monnaie. Un secrétaire d’Etat au Trésor américain, M. Conally, disait à ses collègues : « le dollar est notre monnaie et c’est votre problème ». Les Etats-Unis se sont permis des déficits abyssaux. Ils vivent aujourd’hui très au-dessus de leurs moyens. Parce qu’ils étaient la puissance dominante, ils ont cru trouver une porte de sortie à leurs difficultés économiques dans la guerre en mettant la main sur les hydrocarbures du Moyen-Orient. Le résultat : ce sont deux guerres dans lesquelles les forces américaines sont aujourd’hui enlisées. Nous vivons le début de la fin de l’hégémonie américaine. La tache du Président Obama est difficile. Son but affiché est de restaurer le leadership américain. Mais dans la réalité, il faudra bien que les Etats-Unis adoptent une politique conforme à ce qu’ils sont : une grande nation certes, mais qui doit réapprendre à épargner, à dialoguer, bref à faire avec le reste du monde. Cette transition sera grosse de conflits.

À cet égard, l’Europe risque d’être prise en étau entre la Chine et les Etats-Unis. L’affaiblissement de la parité du dollar rendra les produits américains plus compétitifs et accroîtra encore l’hypercompétitivité du yuan et des produits fabriqués en Chine.

Les énormes déficits américains vont accroître les déséquilibres macro-économiques à l’échelle mondiale. De nouvelles bulles se créeront. De nouvelles crises sont en perspective. C’est une nouvelle donne – un nouveau New Deal - à l’échelle mondiale qui est nécessaire. Si nous voulons sortir durablement de la crise, il faudra mettre un terme à la domination des marchés financiers.

Remettre la politique aux postes de commande, bref refaire des peuples et des nations les acteurs de l’Histoire et non les marchés financiers afin de mettre sur pied un nouveau modèle de développement.


B) Désuétude de la social-démocratie. Le modèle social-démocrate correspondait à un équilibre entre le travail et le capital. C’était vrai il y a un demi-siècle. Le capitalisme, à l’époque, fonctionnait sur un modèle fordiste. Il obéissait à une régulation keynésienne dans le cadre national. Ce capitalisme-là n’est plus ; il a été remplacé par le capitalisme financier. C’est la dictature de l’actionnariat, le triomphe de la théorie dite de « l’acquisition de la valeur pour l’actionnaire » dans un cadre entièrement dérégulé à l’échelle mondiale. Le communisme, qui faisait peur aux bourgeoisies occidentales qui se croyaient obligées de faire des concessions à leurs classes ouvrières, n’est plus. Les taux de syndicalisation ont fléchi. Les sociaux-démocrates sont devenus des sociaux-libéraux. Partout en Europe ils ont cru trouver une « troisième voie » (Anthony Giddens) : Jouer le jeu du libéralisme censé produire des richesses et ensuite opérer des corrections à la marge : RMI, CMU, investissement éducatif, etc. Cette politique, introduite en France en 1983, consacrée par l’Acte Unique en Europe, a été théorisée en Grande-Bretagne par Anthony Giddens et Tony Blair. Elle a été mise en œuvre aussi en Allemagne par Gerhard Schröder, à travers le plan Agenda 2010, à partir de l’année 2000. Ses orientations ont été généralisées à l’échelle européenne par les sommets de Lisbonne (2000) et Barcelone (2002). Ces politiques ont fait faillite. Les gouvernements sociaux-démocrates, qui étaient onze en 1999 dans l’Europe à quinze, ont tous perdu le pouvoir ou sont en voie de le perdre. Le cycle du social-libéralisme est clos. C’est ce dont beaucoup de nos camarades socialistes ne se sont pas encore avisés. Notre rôle est de leur ouvrir l’esprit.


II – Pour faire face à la crise, la gauche doit faire sa mutation républicaine

A) La classe des producteurs ne s’identifie plus à un bloc de classes homogène. Le retour aux sources de la République, l’appel à la raison du citoyen, la croyance en l’égalité humaine, voilà ce qui pourrait permettre à la gauche de se définir comme « parti républicain du peuple ». Il nous faut réhabiliter l’idée d’un intérêt général qui serait à la fois l’intérêt national et correspondrait aussi à l’intérêt général de l’humanité.

Comment substituer à la logique des marchés financiers une autre logique politique ? Chacun comprend qu’un nouveau modèle de développement soutenable peut seul permettre de concilier l’aspiration légitime de pays comme la Chine ou l’Inde au développement, la volonté des Etats-Unis et de l’Europe de préserver leur tissu industriel, leur emploi et leur bien-être, et en même temps l’intérêt général de l’Humanité qui est d’économiser ses ressources rares (énergies fossiles, eau, air, sol) et lutter contre l’effet de serre.

Pour cela, nous devons planifier une révolution énergétique sans tomber dans le catastrophisme écologique mais en promouvant les énergies nouvelles, y compris nucléaire, les économies d’énergie, les techniques de charbon propre et en préservant les forêts équatoriales. J’ai lu que Martine Aubry, à La Rochelle, a déclaré : « Nous vivons l’ombre des Lumières. C’est l’idée même de progrès qui est épuisée. »

À mon sens c’est une erreur. Malthus déjà, au début du dix-neuvième siècle, considérait que la terre était trop petite pour nourrir les hommes. Cette prophétie s’est révélée une erreur historique car elle méconnaît les ressources de l’humanité en inventivité, créativité, progrès des connaissances et de la technologie. Il faut faire confiance en l’homme. La gauche est inséparable de la volonté de raison. Elle ne doit pas renier l’héritage des Lumières. Elle doit affirmer le primat des valeurs de la connaissance, ne pas sombrer dans la technophobie.


B) Un projet républicain en forme de nouveau new-deal

J’énoncerai sept propositions :

1. Relance concertée des économies. Un effort supplémentaire sera demandé à chacun (davantage d’épargne aux Etats-Unis, relance du marché intérieur et sécurité sociale en Chine, relance allemande et japonaise, financement du développement de l’Afrique et des PMA).
2. Réforme du système monétaire international : création d’une nouvelle monnaie internationale de réserve reflétant la place des différents pays dans l’économie mondiale et ayant vocation à se substituer au dollar. L’émission de 250 Milliards de DTS par le FMI est un premier pas. Il faut aller beaucoup plus loin pour aider au développement des pays pauvres. Nouveaux « accords du Louvre », fixant des fourchettes aux parités monétaires (dollar, euro, yen, yuan) afin de parvenir à une concurrence équitable.
3. Redéfinition du mandat de l’OMC (en fonction des principes comme la « concurrence équitable » et la « souveraineté alimentaire »). Changeons les règles du jeu en matière commerciale.
4. Plan mondial d’aide à l’Afrique et aux PMA.
5. Contrôle du crédit par la voie de nationalisations bancaires.
6. Réglementation des marchés financiers visant à éliminer les fonds purement spéculatifs. Chasse aux paradis fiscaux et traçabilité obligatoire des mouvements de capitaux, les banques devant être tenues de communiquer à la police et à la justice leurs archives informatiques.
7. Réintroduction d’éléments de planification au niveau régional et mondial par exemple :
- en matière de politique énergétique ;
- `d’autosuffisance alimentaire (suspension des négociations agricoles de l’OMC et redéfinition du mandat de l’OMC sur cette base) ;
- de planification industrielle ;
- d’eau potable et de grandes infrastructure (assainissement, routes, chemins de fer, hôpitaux, écoles, université et recherche).


III – La France 2009-2012

A) La France souffre

Elle récolte les fruits amers d’un choix libéral effectué dans les années quatre-vingt et aujourd’hui renouvelé par Nicolas Sarkozy. Je n’évoquerai que quelques têtes de chapitre : le bouclier fiscal, la cure d’austérité infligée aux services publics à travers la RGPP, la réforme des collectivités territoriales qui serait un coup terrible pour la solidarité et pour les investissements collectifs, le tour de vis donné à l’Hôpital public, la réintégration de l’OTAN qui est un contresens politique.

Certes toutes les initiatives de Nicolas Sarkozy ne sont pas mauvaises, l’idée d’un grand emprunt national, s’il permet de financer les investissements économiquement rentables, est judicieuse dans un pays comme le nôtre où le taux de l’épargne avoisine 15%. Quand Nicolas Sarkozy propose des Assises de l’Industrie, je ne vais pas être contre puisque je les avais moi-même proposées en 1982-83. Jean Riboud ayant accepté l’époque de les présider. Ce n’est pas ma faute si elles ont été annulées par mon successeur. Qu’elles soient reprises vingt-cinq ans après, sur une suggestion de la CGT paraît-il, ne me fera pas changer d’avis. Évitons l’antisarkozysme primaire et systématique. Celui-ci est la marque d’un vide conceptuel, d’une absence de projet alternatif réel, bref d’un opportunisme politique que nous avons toujours combattu.

Nous devons nous opposer sur des bases solides. En France par exemple, il y a place pour un M.I.T.I. à la française, un contrôle public du système bancaire, une priorité accordée à la ressource humaine, un exercice calme et réfléchi des prérogatives régaliennes de l’Etat à l’opposé des effets de manche dont nous sommes las sur des questions comme la sécurité ou la justice. Ainsi, la suppression du juge d’instruction n’a rien de républicain. Le risque est grand de voir l’Etat instrumenter la justice à travers les parquets. Nous ne devons pas prendre des vessies pour des lanternes, accepter que la communication se substitue à la politique. Nous ne voulons pas que l’endettement de l’Etat permette seulement de renflouer les banques tandis que ceux qui sont aux commandes, après avoir failli, les conserveraient. « On prend les mêmes et on recommence » : de cela nous ne voulons pas.


B) Que faire ?

1. L’état de la gauche.

La gauche aujourd’hui ressemble à une flotte démâtée. Il est vrai que la gauche plurielle était au départ une idée essentiellement tactique, une alliance dominée par le parti socialiste avec les Verts en éclaireurs et le parti communiste en arrière-garde. Aujourd’hui, trois épaves surnagent : la proue supposée, je veux dire les Verts, prétend naviguer toute seule ; à la poupe, c’est-à-dire les communistes et leurs alliés, il manque une hélice : elle n’a pas connu de véritable dynamique aux dernières élections européennes et elle doit faire face à la concurrence du NPA ; quant au corps du bâtiment, je veux dire le PS, il a un sérieux problème de direction.

Il n’y a pas de solution à cette situation désespérante en dehors d’un projet qui soit à la hauteur des défis du temps. C’est le rôle que le MRC revendique non pas pour lui mais pour toute la gauche et pour la France. La Maison commune de la gauche proposée par Martine Aubry ne saurait être que le replâtrage de la gauche plurielle.

2. La gauche a un problème d’identité et ce problème surdétermine la question des alliances. Il faut donner la priorité au projet. L’Europe, telle qu’elle s’est construite sur une base libérale et technocratique, n’est pas la solution, elle est le problème. Il faut la réorienter. Sur la base de la démocratie qui vit dans les nations. À cet égard l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe de juin dernier dit tout. Il y a un déficit de démocratie structurel dans l’Union européenne. La légitimité est dans les Etats nationaux et dans les Parlements nationaux. Il n’y a pas de peuple européen. C’est pourquoi le Parlement de Strasbourg ne peut être qu’un ersatz de Parlement. Tout cela nous pouvons d’autant mieux le reprendre à notre compte que c’est ce que nous disons depuis toujours.

Il faut reprendre la construction européenne sur la base de la démocratie qui vit dans les nations et aller vers une Confédération européenne qui nous permette d’exister, d’être un pôle, comme on dit, dans le monde multipolaire de demain.

C’est de cela dont nous devons discuter, sans exclusive, avec toute la gauche, y compris le NPA s’il le souhaite. Il y a là un rôle politique essentiel pour la France. Faut-il parler de tout cela avec M. Bayrou ? M. Bayrou – nous le savons - est un homme politique qui vient de la droite mais il s’est dit « prêt à tendre la main à la gauche ». Si nous sommes sûrs de nous-mêmes, si nous avons des idées claires, il n’y a pas lieu de montrer un quelconque sectarisme.

Le problème pour la gauche, c’est d’abord d’avoir les idées claires. Nous avons proposé, il y a plus d’un an, des Assises de toute la gauche. Nous sommes prêts à examiner un projet de primaires dès lors qu’elles concerneraient plusieurs partis de gauche qui en seraient ensemble les co-organisateurs, bien entendu sur la base d’une charte d’orientation politique. La gauche doit rompre avec une orientation qui l’a coupée des couches populaires depuis les années quatre-vingt. Je n’idéalise pas les primaires, mais elles peuvent être l’occasion d’une rupture salutaire. En tout état de cause, le MRC ne restera pas silencieux en 2012. Il pèsera, quoi qu’il arrive, directement ou indirectement. Nous sommes les gardiens de l’avenir républicain de la France. La priorité c’est le projet !

Y a-t-il un autre choix ? Sincèrement je ne le crois pas sauf à laisser le champ libre à M. Sarkozy qui s’emploie déjà activement à rassembler la droite autour de lui, en profitant des divisions et du désordre de la gauche.


Conclusion

Nous avions jadis, au début des années soixante-dix, fait lever un immense espoir. La gauche ensuite a tourné le dos à ses engagements. Elle a rendu les armes sans avoir combattu. Le néolibéralisme a triomphé. Les couches populaires se sont détournées de la gauche. Mais ce cycle est désormais derrière nous. Les triomphateurs d’hier sont les faillis d’aujourd’hui. Sachons trouver en nous-mêmes l’énergie de nous redresser. Sachons renouer avec les idées, c’est-à-dire avec le réel, mais aussi avec l’ambition collective, c’est-à-dire avec l’idéal. Il n’y a pas d’autre chemin pour une victoire qui, demain, ne décevra pas.

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