Dimanche 18 Décembre 2016

Santé : sur le cannabis, faut-il faire évoluer la loi ? par Patrick Nivet Docteur honoraire des Hôpitaux.



De l'ancien monde au nouveau monde.
Les lecteurs du journal Le Monde prennent la parole.


Santé : sur le cannabis, faut-il faire évoluer la loi ?

Un peu partout dans le monde la consommation du cannabis augmente, les chiffres sont difficiles a interpréter car il y a ceux qui concernent l’usage unique dans une vie et d’autres l’usage régulier qui peut d’ailleurs lui même être subdivisé entre consommateurs plus ou moins importants (quotidien, hebdomadaire…). En France, en 2014, 11% de la population de 18 à 64 ans aurait au moins une fois fait usage de cannabis, ces chiffres seraient en augmentation, mais outre qu’ils ne sont pas en eux-même inquiétants puisque seule la consommation régulière l’est en fait véritablement, ils sont à comparer à ceux de la consommation quotidienne du tabac (30 à 35 % de la même tranche de population) et à ceux de la consommation et du mésusage de l’alcool bien supérieurs aussi, ces produits étant largement autorisés….

Cette appréciation statistique relativise, à mon sens,  les critiques qui peuvent être formulées à l’encontre de la situation législative en France où le cannabis est interdit à la fois pour sa vente et sa consommation. D’autant que sur le plan international la situation est pour le moins confuse tant pour ce qui concerne les expériences de dépénalisation ou de légalisation (variées et peu convaincantes) que pour leurs résultats sanitaires.

Partout la tolérance quelle que soit sa forme se traduit par une augmentation à la fois de la consommation et des conséquences négatives qu’elle entraine (désordres psychiatriques, accidents, séjours aux urgences, crimes et délits routiers ou autres….) Bien sur les états aux USA les plus libéraux ont vu se développer une activité nouvelle très lucrative, culture et vente constituant une opportunité de gains financiers non négligeables, une vraie aubaine d’enrichissement. Les promoteurs sont dans les starting-blocks qu’ils soient cultivateurs (sous serre ou non ?), vendeurs en coffee shop ou autres….l’utilisation du cannabis thérapeutique notamment en soins palliatifs en étant un prétexte commode.

Il est frappant par ailleurs de constater dans une consultation du Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) en Aquitaine que le prix de l’héroïne et de la cocaïne sont beaucoup plus bas dans les pays plus ou moins dépénalisateurs voire légalisateurs du cannabis que chez nous. Le ravitaillement bon marché se faisant dans nos régions en Espagne, au Portugal et bien sûr en Hollande permettant la revente dans nos territoires avec souvent un gain suffisant pour permettre les consommations qui sinon vu leur prix seraient plus difficiles…

Tout se passe comme si le relâchement des contraintes dans ces pays vis-à- vis du cannabis se traduisait par une meilleure diffusion des autres psychotropes, les trafics étant souvent intimement liés les uns aux autres. Par ailleurs,  en France ce sont surtout les trafiquants de cannabis qui sont pénalisés par de la prison, les consommateurs eux ne sont soumis le plus souvent qu’a des injonctions thérapeutiques aux effets sans doute limités mais qui peuvent se révéler utiles pour dépister les consommations à risques soit de décompensation psychologiques (psychiatriques) soit de dérives sociales et/ou scolaires. Les entretiens pouvant pour les plus jeunes concerner aussi les parents ce qui n’est jamais inutile.En outre, la pénalisation sous toutes ses formes (retrait de permis, amendes, prison, peine de substitution…) concerne aussi largement le mésusage de l’alcool avec les contrôles routiers qui s’étendent aujourd’hui avec raison aux autres produits psychotropes.

A noter que dans la panoplie des produits à risque de dépendance les benzodiazépines sont aussi à considérer. Elles ne sont pas en vente libre mais prescrites largement par les médecins et s’ajoutent aux autres pour cumuler leurs effets au point de complexifier les consultations d’addictologie ou d’être pour elle même l’objet de ces consultations.

Enfin, le cannabis s’associe souvent au tabac autorisé pour les adultes et dont la politique de limitation de l’usage est un enjeu de santé publique partout dans le monde. Les contraintes s’exerçant sur les fumeurs ne cessant d’être plus sévères pour diminuer la consommation. Alors laisser le champ libre au cannabis quand nous ne cessons de combattre son plus commode support ne serait il pas contradictoire ?

En fait, à l’heure d’internet et du téléphone portable tous les produits sont accessibles partout et même livrés à domicile, les interdictions peuvent facilement être contournées. Pour autant, les interdits restent à mon sens utiles mais ils n’ont qu’une valeur de limitation de phénomènes qui sans eux ne pourraient que s’emballer surtout dans des sociétés fragiles. Ils doivent être compris comme des frontières signifiées, mais la lutte contre les addictions ne peut s’y résumer, le soin et l’approche médico-sociale est évidemment le pendant indispensable à toute politique fut-elle rigoureuse concernant l’usage et surtout le mésusage des produits psychotropes.

Patrick Nivet, Saint-Christophe-des-Bardes (Gironde)

Cliquer ICI (journal Le Monde) 



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