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Publié le Mercredi 4 Juin 2014

Réforme territoriale : vers une "länderisation" de la France ?



Tribune de Claude Nicolet, Secrétaire national du MRC et 1er secrétaire de la fédération du Nord, parue sur Marianne.net, mercredi 4 juin 2014.


Réforme territoriale : vers une "länderisation" de la France ?
S'il est normal de réfléchir à l'organisation territoriale de la France et de vouloir éventuellement la modifier, l’actuel projet de loi sur la réforme territoriale pose néanmoins beaucoup de questions. Et elles sont surtout, en ce qui nous concerne, d’ordre politique. Si certaines mesures proposées sont de bon sens et sont même souhaitables, comme demander une mise en cohérence stratégique entre l’action des Chambres de commerce et d'industrie et celles des Régions, cohérence des politiques de développement économique, de formation professionnelle ou encore touristique, l’essence du projet de loi soulève de nombreux problèmes.

On ne touche pas impunément à l'organisation institutionnelle de notre pays. Nous savons tous qu'en France, c'est l'Etat qui a crée la nation. Il y a donc une relation directe avec notre identité. Au lendemain de deux chocs majeurs (élections municipales et européennes), il convient d'aborder avec une infinie délicatesse une pareille réforme. La peur, l'angoisse du déclassement, de l'abandon, sont des réalités chez nos concitoyens. L'analyse des résultats électoraux est particulièrement frappante et, en Région Nord-Pas-de-Calais (où Marine Le Pen est conseillère régionale), nous sommes bien placés pour en mesurer les dégâts. La fracture métropoles/périphéries est maintenant, hélas, un grand classique. La création de super-métropoles est dès lors un vrai risque.

Le sentiment de ne mettre sur pied qu'un gigantesque mécano technocratique, bouleversant les repères institutionnels et territoriaux, brouillant encore un peu plus un sentiment d'appartenance déjà fort mal en point, n'est pas suffisamment pris en compte. L'exécutif peut tenter de profiter d'un moment de stupeur, voire d'effroi chez les Français pour faire « passer » pareil projet, an nom d'économies à réaliser, le but risque surtout d'être marqué contre notre propre camp. Le temps de la concertation et du débat sur un sujet d’une telle ampleur n'y est pas.

Tout d’abord d’un point de vu « technique ». Sur les regroupements ou fusions de Régions puis dans un deuxième temps de renégociations éventuelles avec des départements qui pourraient au bout d'un an ou deux rechanger... Souvenons-nous de ce que fut la « bataille » des plaques d'immatriculation et de son ampleur. Anecdotique peut-être, mais surtout symbole d'un attachement à l’identité locale quand tout le reste donne le sentiment de s'effondrer.

Autre point très délicat, celui de l’attribution d’un pouvoir réglementaire aux Régions. Mais les modalités de ces transferts et surtout le contenu sont à ce jour très flou.

Des collectivités mises à la diète

Mais plus fondamentalement de quoi s’agit-il ?

Au-delà de la réorganisation territoriale sur laquelle il est tout à fait légitime de réfléchir et de travailler, la nature du projet de loi est en grande partie contenue dans les articles afférant aux affaires financières. En effet, dans une période de difficultés, d’argent rare et de lutte contre la « dette publique », le projet de loi vise en réalité à mettre les collectivités locales à la diète et sous tutelle des organismes de contrôle. La Cour des comptes devient un acteur majeur de cette nouvelle organisation, à charge pour elle de faire respecter les dispositifs européens coercitifs de respect des engagements de la France en matière de lutte contre les déficits.

Or les collectivités locales sont, elles, soumises à l'équilibre budgétaire, contrepartie de leur libre administration consacrée par la Constitution. La diminution constante des dotations de l'Etat pour toutes les collectivités et la fin aujourd'hui (dans les faits) de toute fiscalité propre pour les Régions (mis à part les cartes grises et la TIPP), place ces collectivités dans une situation budgétaire qui devient intenable. Dans ce cadre, la ponction supplémentaire de 11 milliards d'euros sur les 50 milliards du plan annoncé par le Premier ministre, ressemble furieusement à un plan d'austérité appliqué aux collectivités locales. Dans un tel cadre, les annonces de la création d’une fiscalité « dynamique » laisse songeur.

Nous allons donc voir ce phénomène exactement identique se répéter, à savoir la « règle d’or » à laquelle la France est condamnée et à laquelle elle a accepté de se soumettre en votant le TSCG (le MRC a voté contre), se décliner désormais à l’échelon des collectivités territoriales. Les élus locaux seront en fait sous tutelle et nous passerons de la confiance à la défiance.

N'est-il pas précisé qu’« il s’agit de faire supporter financièrement aux collectivités territoriales, la charge d’une condamnation de la France par l’Union européenne qui leur est imputable en raison de leurs manquements aux obligations communautaires. » C'est à dire que notre capacité à emprunter et la gestion de notre dette nous échapperont également. Fondamentalement, de quoi serons-nous responsables devant nos électeurs ?

L’implication sur nos capacités d’investissement, donc sur l’emploi, la croissance et le développement économique, s’en ressentira directement. Les collectivités territoriales sont priées de devenir les relais de la mise en place de l’austérité afin de rétablir les comptes publics selon l’idée que s’en fait l’orthodoxie bruxelloise et de Bercy. Or faut-il rappeler une fois de plus que les collectivités locales réalisent environ 70% de l’investissement public en France.

Autre point essentiel, la disparition de la clause de compétence générale pour recentrer les collectivités uniquement sur des compétences obligatoires. La fin (en grande partie) des financements croisés pose également beaucoup de difficultés. Prétendre mettre un terme aux fameux « doublons » par ce biais peut être tentant, mais interroge directement la nature même de ce qu’est une collectivité territoriale. Jusqu’à présent il n’y avait pas de hiérarchie entre elles. Désormais c’est terminé sur un certain nombre de points (comme l’économie ou le tourisme), pourquoi pas ? Mais quid de l’autonomie des collectivités locales, notamment en matière fiscale ? La question n’est pas tranchée semble t-il.

Nous nous interrogeons également sur les enjeux politiques, voire tactiques d’une telle réforme. Certes l’idée d’opposer les « anciens » aux « modernes » est facile à mettre en œuvre. L’éternel débat entre Girondins et Jacobins (dont nous sommes) ressurgit à nouveau. Mais au-delà…

La France a-t-elle vocation à se « länderiser » ?

Le tropisme allemand nous semble assez évident. Faire de grandes régions, de taille « nécessairement » européennes, capable de lutter dans la « cour des grands », avoir des territoires compétitifs, capables de se battre dans la mondialisation et de mettre un terme au millefeuille territorial auquel les Français ne comprendraient rien, nous paraît un postulat à interroger et qui ne va pas nécessairement de soi. La tentation du « länder » est forte, on le sent bien. Mais au risque de lasser, faut-il rappeler que la France n'est pas l'Allemagne et vice versa ? Nous n'avons pas de tradition fédérale. Ne faisons donc pas une côte mal taillée entre fédéralisme de crise sans moyen financier et recentralisation disciplinaire par l'intermédiaire des organismes de contrôle de l'Etat lui-même sous l'œil de la Commission européenne. Ce chemin est le plus mauvais et le plus dangereux.

Par ailleurs, est-ce bien le moment de proposer une telle réforme ?

Alors que l’Etat est affaibli faut-il créer douze ou quatorze Régions, bénéficiant du pouvoir réglementaire, à la définition purement technocratique, administrative et juridique ? Sans réalité historique, sociale ou culturelle alors que les Français se replient sur des territoires de plus en plus inégalitaires et qu'ils ressentent comme étant en crise ? Le peuple français est très attaché à la notion d’égalité. L'Etat sera-t-il en mesure d’assurer « l’égalité territoriale » par la redistribution ou la péréquation quand on sait que les Régions (à l’heure actuelle) n’ont quasiment plus aucun moyen de lever l’impôt et dépendent en grande partie des dotations de l’Etat. Sans même parler de la situation des conseils généraux qui doivent faire face à une véritable explosion de leurs dépenses liées à leurs compétences sociales, en particulier le RSA. Certains, comme le Conseil général du Nord, devant même prendre sur le budget « investissement » pour financer leurs politiques sociales dans le cadre de ses compétences obligatoires.

La France a-t-elle vocation à se « landëriser » en perspective d’un futur Etat fédéral européen dont les Français ne veulent pas et que les élections européennes du 25 mai dernier ont cruellement rappelé à toutes celles et ceux qui s’obstinent à ne pas vouloir regarder les choses en face. Ce « grand saut » en avant territorial, plutôt que de vouloir singer un modèle extérieur devrait plutôt s’appuyer sur ce que nous sommes, pour mettre les Français en mouvement. Cela sous-entend d’avoir un discours sur la France, or on sent bien, depuis longtemps, qu’il est difficile dans notre pays d’avoir un discours sur la France, sur la République, sur la nation. Que l’on peine à penser l’idée même de « France ». Là sont aujourd'hui les vrais enjeux. Il est donc à craindre qu’il en ressorte plus de confusion que de clarté et que le résultat soit celui d’une crispation plus grande encore de notre pays, plutôt que l’ouverture d’un chemin nouveau vers notre indispensable redressement.

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Source : Marianne.net

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