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Publié le Dimanche 24 Octobre 2010 par MRC

Qu’est-ce que l’école de la République ?



Intervention de Jean-Claude Blanc, ancien professeur agrégé de philosophie, lors de l'Université d'été du MRC à Valence, le 5 septembre 2010.
L’idée directrice de l’école publique est que l’élève, qui est autre chose qu’un enfant, doit être considéré comme un sujet rationnel. C’est à sa seule raison qu’on s’adresse. Ce qui permet à l’école d’écarter tout regard différentialiste sur l’élève. En ce lieu, celui-ci n’est plus attaché à un particularisme (sexe, origine sociale, ethnie, confession…), il n’est plus « assigné à communauté ».


Qu’est-ce que l’école de la République ?
Comme le suggéraient Véronique Blanc-Blanchard et Claire Mazeron je suis, moi aussi, profondément persuadé qu’il ne suffit pas, ou plutôt qu’il ne suffit plus de défendre l’école comme institution. Ce sont en effet ses principes qui sont attaqués par les uns, oubliés par les autres. Il ne suffit plus - même si cela est aujourd’hui plus indispensable que jamais - de réclamer plus de moyens pour l’institution. C’est bien l’idée, le concept de l’école qu’il nous faut restaurer.

Une remarque, en passant, sur ce thème : je suis persuadé que la regrettable désaffection syndicale que l’on constate aujourd’hui s’explique largement par le fait que les syndicats majoritaires, en particulier dans l’enseignement élémentaire, n’ont pas su se hisser à cette hauteur de la crise de l’école. Quand naguère un ministre organisa un débat public sur les missions de l’école, la plupart des voix syndicalistes éludèrent la question en réclamant, comme depuis 50 ans, « plus de moyens ». Voila le niveau du débat : l’un demande quelles sont les fins, l’autre répond qu’il faut plus de moyens ! Comme s’il n’y avait rien d’autre à dire sur l’école elle-même !

Quand, de toutes parts, on demande à l’école de « s’ouvrir » toujours plus « à la société civile », quand on ignore ce qu’est la laïcité au point de la vouloir plus « ouverte » elle aussi - ah, cette rhétorique sur le « clos » qui serait le mal et l’ « ouvert » qui serait le bien ! - quand ce sont les parents qui décident des redoublements, quand on interdit au professeur d’enseigner sous peine de voir son cours, dans lequel il essaie d’introduire une progression logique, taxé de « frontal », quand la liberté pédagogique est contestée sous prétexte qu’elle ne serait que l’alibi de ceux qui refusent les enseignements des « sciences » de l’éducation (dixit Frackoviac), quand l’administration impose vigoureusement les absurdes « projets d’école » sans se préoccuper de la contradiction qu’ils entretiennent avec les programmes nationaux, quand des enseignants pleins d’enthousiasme découvrent qu’ils ne peuvent pas enseigner tant leurs élèves (leur « public » !) sont inattentifs et indisciplinés, quand depuis trente ans on peut observer que les réformes ne font qu’aggraver les choses... on peut dire qu’il est urgent de s’interroger sur les principes et les missions de l’école.

En disant ceci, je sais qu’on va me répondre en sortant le petit livre rouge du parfait pédagogiste : « ringard », « nostalgique des blouses grises », « archaïque »... Quand on met une pièce dans un distributeur, on sait ce qui va tomber. N’importe. Je m’obstine à croire au dialogue, rappelant que le nouveau n’est pas nécessairement le vrai et que, lorsqu’on constate que des choses s’aggravent, il peut être progressiste de revenir sur ses pas et sur ses erreurs.
 
Voyons donc ce qu’est l’école.
 
L’école publique a été instituée à la fin du XIXème siècle (Ferry, Buisson…). Mais c’est au XVIIIème qu’elle a été conçue, par le siècle des Lumières (Kant, Condorcet...). Dans le contexte révolutionnaire de l’époque il convenait de se demander : de quelle école la République a-t-elle besoin ? Entendre ici par République une Cité démocratique et perfectible. On sait déjà en effet que la démocratie implique des conditions car elle peut être détournée par des démagogues, et que les peuples peuvent se donner des tyrans. La République a donc besoin de « citoyens éclairés ». Condorcet écrit : « il faut rendre la raison populaire ».

I - L’école est d’abord un espace/temps particulier et singulier, c’est-à-dire à part et unique.

Parce que l’étude requiert du calme et de la discipline, parce que l’enfant est un enfant et pas encore un citoyen, l’école doit être d’abord un lieu protégé et un temps libéré, ce qui est déjà inscrit dans la notion grecque de « skolé » ou la notion latine de « schola » : c’est l’idée d’un temps où les contraintes ordinaires de la vie sont suspendues, et pendant lequel, se détournant des activités immédiatement utilitaires et du souci d’ « avoir », on va pouvoir cultiver son être, sa propre humanité. Car il est entendu que l’enfant n’est pas un petit homme ou un petit citoyen, il est d’abord un candidat à l’humanité, laquelle doit se conquérir, se développer, se mériter... conception élevée et exigeante de l’homme ; et respect véritable de l’enfant en tant qu’enfant.

Dès l’origine, il est admis que l’école est un espace/temps délibérément mis à distance de la vie sociale, de ses contraintes, de ses agitations, de ses conflits, de ses violences, de ses modes. C’est le temps des pratiques qui trouvent leur finalité en elles-mêmes, dans le développement de soi.

Si dans l’Antiquité, seuls quelques privilégiés pouvaient disposer d’un tel « loisir », les penseurs révolutionnaires proclament que tout enfant doit pouvoir en disposer, pour faire advenir ce qu’il peut être…
Comme le note Henri Pena-Ruiz, dans son livre Qu’est-ce que l’école ?, instituer une telle école est une décision importante d’une société sur elle-même, décision qui enveloppe l’idée que l’individu ET la société sont perfectibles : alors que toute société tend spontanément à se reproduire, l’école, elle, ne veut pas que nos enfants nous ressemblent. Elle veut qu’ils nous dépassent et construisent un monde meilleur.

Mais cette conquête devra ensuite être constamment défendue, justement parce que la société civile, au premier rang de laquelle il y a les familles, ne cessera jamais de vouloir assujettir l’école à ses demandes immédiates… Contre ceux qui veulent « ouvrir » toujours plus l’école à la société civile, aux parents qui veulent toujours plus peser sur la marche de l’école, il faut rappeler cette nécessité d’un lieu protégé, relativement fermé. Fermé sur la rue et la vie quotidienne pour rester ouvert sur autre chose. Quoi donc ? Sur la vie de l’esprit, sur la culture, sur les grandes œuvres de l’humanité de tous les temps, et aussi bien sûr, sur le développement de soi et sur la liberté du jugement. En somme, ouverture non sur l’ordinaire mais sur le haut.

Certes on peut nous objecter que, quoi qu’on fasse, la société pénètre l’école ; les inégalités sociales s’y manifestent. A tel point même qu’on pourrait croire que l’école reproduit ces inégalités, comme on pourrait croire que l’hôpital produit des malades tant il y en a dans ses murs… Certains sont allés jusque là !!! A quoi on peut répondre que si, en effet, les inégalités sociales se prolongent jusque dans l’école, cette dernière a longtemps contribué à les faire reculer et reste la condition nécessaire (mais non suffisante) de tout progrès social à venir. Mais il faut admettre l’évidence : l’école n’a pas et n’aura jamais le pouvoir d’effacer seule les inégalités sociales et on ne saurait le lui reprocher sans se tromper d’adversaire...

II - L’école, c’est aussi une mission.

Cette mission est d’instruire. Certains n’en sont pas convaincus : il y a un débat récurrent qui va parfois jusqu’à opposer instruction et éducation.

L’origine de ce débat mérite d’être contée. Avant 1932, nous avions un ministère de l’Instruction Publique. Mais on sait que dans les années trente beaucoup de « beaux esprits » furent fascinés ou séduits par l’Italie fasciste et les débuts de l’Allemagne nazie. C’est ainsi que, pour imiter les Italiens, notre ministère de l’Instruction Publique est devenu celui de l’Education Nationale. On a expliqué, à l’époque, qu’il ne suffisait pas d’apporter des connaissances aux enfants et qu’il fallait aussi leur inculquer quelques valeurs... On devine sans peine quel lézard se cachait sous la pierre…

En fait, cette anecdote montre qu’on commençait déjà à oublier l’essentiel, à savoir que l’instruction est en elle-même une éducation, et une éducation que seule ou presque l’école peut apporter, une éducation qui ne se trouve qu’exceptionnellement dans la famille et on peut dire jamais dans les médias : car l’instruction, mission essentielle de l’école, n’est pas simple transmission de « savoirs », de connaissances qu’on empilerait à la manière des choses que l’on a, l’instruction révèle et accroit l’être.

Il est évident, par exemple, qu’un enseignement méthodique et raisonné exerce la raison en même temps qu’il transmet des connaissances. Et cet exercice est indispensable : s’il est vrai que la raison est commune à tous les hommes comme on le répète souvent (les mathématiques sont en effet les mêmes en Europe, en Asie et ailleurs), on dit moins qu’elle n’est d’abord qu’une potentialité et qu’elle a besoin de s’exercer pour devenir opératoire. Le besoin de logique n’est pas premier, et l’histoire des civilisations le montre bien. La rigueur s’apprend. C’est pourquoi Platon avait fait graver au fronton de son école de philosophie : « Nul n’entre ici s’il n’est géomètre ».

Ainsi, par le développement de la raison, par les repères essentiels que donne la culture, par l’arrachement à l’environnement immédiat qu’elle impose, l’instruction éduque et fait mûrir le pouvoir autonome de juger. On a pu dire que le maître d’école est celui qui doit nous permettre un jour de nous passer de maître. Apprendre à cheminer avec ordre et méthode, voilà ce qu’est vraiment « apprendre à apprendre », si jamais cette expression à un sens. Pourtant nos pédagogistes appellent ceci du « bourrage de crâne ». Par ignorance sans doute. Bref, je le maintiens, l’instruction est bien en elle-même une forme d’éducation essentielle, une éducation de la raison par elle-même et que l’école est seule à dispenser. Nous reviendrons plus tard sur ce que peuvent apporter les medias.

S’il fallait, pour en finir sur ce point, absolument distinguer instruction et éducation, je dirais volontiers que l’éducation renvoie le plus souvent à la conformation à un modèle préexistant (la politesse, les convenances du moment et du lieu…). A quoi les parents ajoutent bien-sûr leurs propres convictions, celles d’une « communauté ». Alors que l’instruction est une éducation qui libère des modèles et des déterminismes sociaux et renvoie au jugement personnel.

Pour Condorcet (Cinq mémoires sur l’instruction publique) l’instruction répond à une double nécessité :
- une nécessité politique d’abord : pas de démocratie véritable et durable sans des « citoyens éclairés ». Car être citoyen, ce n’est pas défendre ses intérêts propres au travers de lobbies. C’est faire un effort de raison, c’est mettre à distance ses intérêts et ses passions pour s’interroger sur l’intérêt général, sur le bien commun. C’est aussi pouvoir participer à un débat argumenté, et être capable de débusquer la démagogie.
- une nécessité philosophique aussi, car il n’y a pas d’homme libre et accompli sans l’autonomie que donne la raison.

Voila pourquoi, pour Condorcet, l’instruction est un devoir d’Etat : seule l’école publique peut vouloir développer tous les humains pour eux-mêmes et en même temps pour le groupe.

Pour des raisons d’égalité, notre auteur pense que les programmes doivent être nationaux. Et pour prévenir toute tentation gouvernementale d’exercer une pression idéologique sur leur contenu, ces programmes seront sous l’autorité et la garde d’un comité national indépendant.

Condorcet ajoute que dans cette école la tolérance régnera (les lois laïques ne sont pas encore votées !) parce que les enfants y seront réunis sans distinction de richesses ou d’appartenance confessionnelle.

On voit bien que l’idée directrice de l’école publique est que l’élève, qui est autre chose qu’un enfant, doit être considéré comme un sujet rationnel. C’est à sa seule raison qu’on s’adresse. Ce qui permet à l’école d’écarter tout regard différentialiste sur l’élève. En ce lieu, celui-ci n’est plus attaché à un particularisme (sexe, origine sociale, ethnie, confession…), il n’est plus « assigné à communauté ». Un grand maître, Muglioni, disait : « à l’école, il n’y a pas d’étranger ».

III – A propos de quelques malentendus.

A - On confond souvent l’instruction et la communication.

Nous vivons dans une société très « médiatisée » où tout semble dépendre de la qualité de la communication. On a ainsi l’impression que l’enfant apprend de toutes parts, et des choses d’égale importance. Il acquiert des connaissances… On a pu dire que maintenant « tout est école ».

Dans cette direction, où on oublie vite ce qu’est instruire au sens fort du mot et tel que nous l’avons défini, il est inévitable que la comparaison de l’école et des médias tourne au désavantage de l’école, il est inévitable que l’école apparaisse « archaïque ». Poursuivant la confusion entre communiquer et instruire, on sera tenté de dénoncer ses modestes règles de discipline et ses petites sanctions (notes, classements…) en les présentant comme des violences d’un autre âge !!!! Certains sont même allés jusqu’à assimiler le « maître » qui enseigne au « maître » qui exploite. Il est vrai que si le latin distingue le « magister » et le « dominus », notre langue, elle, se prête à l’amalgame. Bonne manière de ruiner l’autorité du maître et le prestige de l’école. L’aspect émancipateur de l’école est alors complètement oublié…

B - L’école a-t-elle à répondre à une demande ?

1) - Qu’il s’agisse de demandes de la société, des familles ou des élèves eux-mêmes, la plus grande prudence s’imposera toujours parce qu’il s’agit le plus souvent de demandes qui vont soit dans le sens de la facilité (l’allégement continu des programmes depuis 30 ans pour soulager nos chers petits épuisés…), soit dans le sens d’intérêts particuliers contraires à l’égalité et à la laïcité, soit dans le sens d’intérêts marchands contre lesquels l’école doit être défendue : les élèves ne sont pas des futurs consommateurs à formater. D’ailleurs, la formule « répondre à une demande », formule empruntée au marché, témoigne en elle-même que l’objectif propre à l’école est perdu de vue, puisqu’il ne s’agit plus d’élever et de libérer mais… d’adapter !

Il est inévitable que la société tende à asservir l’école à ses demandes immédiates, et lui intime l’ordre de s’adapter. C’est dans l’ordre des choses. Mais il faut se souvenir que jamais l’école n’aurait existé sans une volonté audacieuse d’aller à contre-courant de la réalité sociale. On pourrait d’ailleurs en dire autant de la déclaration des droits de l’homme ou de la démocratie…

Certes l’école n’est pas parfaite et elle reste réformable. Mais à condition que les réformes ne perdent jamais de vue sa finalité propre et sa mission émancipatrice.

2) - En va-t-il de même lorsqu’il s’agit de répondre aux demandes des élèves et de prendre en compte leurs motivations ? Pas nécessairement, mais pourtant, là encore la méfiance sera de rigueur, car le risque est toujours d’enfermer l’enfant dans son enfance, et l’ignorant dans son ignorance. Ici, la psychologie n’est pas nécessairement un bon guide. Alain disait à peu près ceci : on me dit qu’il faut connaître l’enfant pour l’instruire, je réponds qu’il faut l’instruire pour le connaître enfin. Finalement, ce qu'il importe de connaître, c'est moins l'enfant que ce qui peut le faire grandir, l'arracher à l'enfance : les grandes œuvres de l'esprit humain, voila le miroir qu'il faut lui tendre. Comme quoi, en 1930, Alain avait déjà perçu tous les dangers inscrits dans les applications imprudentes des sciences humaines !!!

Puisque nous en sommes là, permettez-moi une petite parenthèse sur l’usage abusif des sciences humaines en notre domaine. Tous les jours nous découvrons les dégâts provoqués par des discours psychologisants ou sociologisants : nous avons vu précédemment comment, adoptant le point de vue du sociologue, on peut faire le procès de l’école qui « reproduirait les inégalités », ou bien comment, adoptant le point de vue du linguiste, légitime pour le linguiste mais pas pour le professeur de Lettres, on peut considérer que tous « les niveaux de langage » se valent. On peut aussi renoncer à être les gardiens de la langue sous prétexte que les linguistes viennent de découvrir une vieille lune : les langues évoluent. Alors pourquoi vouloir les empêcher d'évoluer ! Réponse : il y a au moins deux bonnes raisons d'être exigeant sur la correction de la langue. D'abord par respect pour nos élèves, parce que la langue sera plus tard un discriminant essentiel qui pourra lourdement jouer contre eux. Ensuite, pour des raisons d'accès au patrimoine culturel : on ne peut déjà plus lire le théâtre du XVIIème au lycée, et à ce rythme là, dans 20 ans, nos élèves ne pourront plus comprendre un roman du XIXème. Le plus riche patrimoine littéraire de l'humanité aura été effacé par deux générations d'imprudents. Excusez cette petite diatribe contre les applications hasardeuses des sciences humaines, mais je ne crois pas que nous nous soyons beaucoup écartés du sujet, surtout si on considère que les prétendues sciences de l'éducation s'auto-proclament « sciences » parce qu'elles empruntent ça et là aux sciences humaines pré-citées.

Revenons aux motivations de l'élève. On me dira qu'il faut bien «être compris ». Certes. C'est l'objectif de toute saine pédagogie. Mais on passe à tout autre chose s'il s'agit de se mettre « au niveau de l'élèvé » en acceptant de se régler sur sa demande.

Je m'inspire ici très directement du livre de Henri Pena-Ruiz Qu'est-ce que l'école ? : dès que l'école n'est plus une offre de culture qui déborde largement la demande, elle consacre aussi ET les limites ET les inégalités de cette demande. Par exemple, renoncer à la culture classique dans le 93 et prévoir dans ce seul lieu des « unités de valeur de Tag », c'est à l'évidence pratiquer un véritable apartheid culturel et social.

Le temps qui m'était imparti étant presque terminé, je ne pourrai, en conclusion, qu'effleurer une dernière idée qui pourtant me tient à coeur : longtemps l'ouverture à LA culture a été une finalité importante de l'école. C'est à elle qu'on pensait quand on disait d'une personne qu'elle était « cultivée ». La culture était en général associée à l'idée d'humanisme. Or le concept de culture au singulier tend à disparaître au profit du concept sociologique des cultures. Oui, il y a des cultures, oui il est illégitime de juger une culture au nom des valeurs propres à une autre culture. Levi Strauss nous a appris cela. Faut-il en conclure que tout se vaut, comme l'esprit du temps pourrait le laisser croire ? Faut-il sombrer dans un scepticisme niveleur qui sera bientôt un nihilisme, car si tout se vaut, rien ne vaut vraiment ?

Un « sociologisme primaire » pourrait nous laisser penser que toute référence à l'universel relève d'un ethnocentrisme borné. Je ne m'accommode pas de ce relativisme à la mode qui se prend pour de la tolérance, je ne crois pas que les bons sentiments nous dispensent du souci du vrai, du beau et du bien.

Il y a une raison universelle (nous avons noté que les mathématiques ne varient pas avec les latitudes). Il peut donc y avoir des exigences universelles de la raison éthique (le respect de la personne, les droits de l'homme.)

De même, il peut y avoir des choses belles pour tous ou qui peuvent parler à tous. De grandes œuvres, qui dépassant le temps et le lieu où elles naquirent, qui parlent à tous les hommes parce qu'elles parlent de la condition humaine. Ainsi toutes les cultures peuvent contribuer à enrichir le patrimoine d'une culture universelle. Picasso s'intéressant aux sculptures africaines et nous révélant ce qu'ensuite on appellera « l'art nègre » nous montre cette voie. Goethe s'émerveillant de se retrouver tout entier dans un roman chinois fit de même, abandonnant au passage un romantisme teinté de nationalisme pour devenir un grand humaniste universaliste. Ainsi, savoir qu'il y a des cultures ne conduit pas nécessairement au relativisme et à l'abandon de l'idée de culture ou d'universel.

Il faut mesurer les risques que les bons sentiments et une tolérance mal pesée nous font courir : si tout se vaut, si une recette de cuisine exotique vaut une tragédie de Racine, toutes choses également « culturelles », s'il n'y a plus LA culture pour désigner des oeuvres qui échappent au prosaïque, bref s'il n'y a que LES cultures imperméables les unes aux autres, alors c'est l'idée que l'humanité est une, fondement de tout humanisme, qui se trouve menacée. Ceci peut préparer des monstres. 

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