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Publié le Mardi 17 Mai 2016 par Mouvement Républicain et Citoyen

Les manuels scolaires nouveaux sont arrivés


Tribune de Fatiha Boudjahlat, secrétaire nationale à l'éducation, parue sur le site Huffington Post, mardi 17 mai 2016.


Les manuels scolaires nouveaux sont arrivés
...Et c'est l'occasion de juger de l'application de la réforme des collèges sur pièce.

L'Enseignement Pratique Interdisciplinaire invitant à travailler sur l'électrocution de Claude François a suscité un amusement et une consternation légitimes. Ce manuel de l'éditeur Bordas ne faisait pourtant que respecter l'esprit de la réforme. Tout comme cet exercice consistant à transformer en lettre un sms incompréhensible, même pour les élèves. Quand des agrégés qui confectionnent les manuels essaient de parler comme des jeunes, essaient de trouver des activités tirées de leur vécu, cela donne des pages navrantes: exercice de maths sur le nombre de smileys utilisés, exercice de "speed-reading", étude de "punchlines" du rappeur Youssoufa comparées aux épigrammes antiques, comparaison entre Hector et un joueur du PSG pour appréhender la notion d'héroïsme...Les manuels ont été fabriqués pour respecter le contenu des nouveaux programmes mais également les nouvelles modalités de l'architecture pédagogique qui nous viennent du monde anglo-saxon: le spiralaire, le curriculaire, le transdisciplinaire.

Le Spiralaire. Les programmes sont organisés en spirales pluriannuelles. Le Cycle 1 concerne les classes de maternelle; Cycle 2: les classes de CP, CE1, CE2; le Cycle 3: CM1, CM2, 6èm; le Cycle 4: 5èm, 4èm, 3em. Les attendus en termes de savoirs et de savoir-faire ne sont plus fixés sur une année calendaire, mais s'échelonnent sur un cycle de trois ans. Le premier intérêt n'est pas d'ordre pédagogique. Il consiste surtout à empêcher le redoublement, que la Cour des Comptes a évalué, en s'appuyant sur un rapport du Haut Conseil de l'Education, à 1,6 milliards d'euros par an. Chiffre hasardeux. Il n'y a plus d'échec, la réussite est juste différée et remise à plus tard. Des enseignants y trouvent leur compte: si une notion n'est pas traitée, il n'y a plus de problème, on part du principe qu'elle sera revue. Il suffit d'effleurer le sujet. Qui sera abordé une autre fois. Parce que les connaissances s'effleurent plus qu'elles ne se traitent. Ceci a bien sûr des conséquences sur l'évaluation. Ce mot porteur de discrimination. Ainsi, le socle commun de connaissances et de compétences instauré par la loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'Ecole du 23 avril 2005 a doucement mais sûrement abaissé le niveau des exigences, parce que la compétence a remplacé la connaissance et le savoir. On juge de la maîtrise d'un geste répétitif, avec une performance attendue minimale. On renonce à évaluer la mémorisation, la culture, la mobilisation de savoirs. Or la République, ce n'est pas l'uniformité et l'égalitarisme idéologique, c'est l'exigence républicaine, la récompense du mérite et du travail. On est passé de la récompense du "l'important c'est de participer", à la récompense du "il suffit de participer".

Le Transdisciplinaire s'inscrit dans cette logique de compétence. Au travers des EPI, dont on sait maintenant qu'ils se feront aux dépends de l'horaire disciplinaire, et dont les enseignants ne sont plus dans les textes que les "animateurs". L'interdisciplinarité peut être utile, elle ne peut cependant devenir la clef de voute du système scolaire. De Vinci l'affirmait: deux arcs de faiblesse ne font pas un arc de force. Elle consiste à réduire les connaissances à leurs aspects immédiatement pratiques mais surtout à les subordonner à une tâche. C'est l'application de l'idéologie du déconstructivisme. Il ne faut plus analyser le genre littéraire d'un texte, les temps verbaux, les champs lexicaux, l'époque de sa rédaction. Non, les élèves doivent juste en humer l'esprit général. Sans borne fixe ou volonté de construire une culture. Tout ceci dans un relativisme abolissant le temps et le genre: dorénavant, un élève de 5ème aura vu dans un panachage qui donne le tournis: Ulysse, Mandela, des héros du Trône de Fer, du Seigneur des Anneaux, Usain Bolt, Roland. La production attendue ? Elaborer une bande-annonce pour un film de super-héros. Les élèves ne doivent pas s'ennuyer.

La logique est de susciter l'intérêt des élèves pour les enrôler dans une tâche complexe, dans une logique de projet collectif. La Ministre de l'Education a ainsi déclaré: " Les EPI feront la part belle au travail d'équipe, à l'expression orale, à la conduite de projet...Toutes ces compétences si recherchées sur le marché du travail et trop peu développées par notre collège(1). » Les EPI sont le moyen coercitif de réduire de réduire l'école à la formation à la reproduction de compétences de moins en moins scolaires, de plus en plus émotionnelles et comportementales. L'école n'instruit plus, elle occupe et divertit. C'est aussi l'obsession libérale du projet aboutissant à une production impossible à évaluer individuellement, sous la forme d'une affiche, d'un diaporama, d'un livret.

Le curriculaire. " Le curriculum s'intéresse donc à la totalité et à la réalité du cursus des élèves sur l'ensemble des années de scolarité ainsi que sur l'ensemble des enseignements qu 'il est appelé à suivre. Il offre souvent matière à un travail local, à des négociations, qui sont autant de possibilités pour que les acteurs s'en saisissent. (2)" La fin de cet extrait est très intéressant: la finalité est bien l'adaptation à chaque élève et à chaque territoire, préoccupation louable s'il s'agit de partir d'une analyse fine de la réalité pour amener à un haut niveau d'exigence. Il s'agit plutôt d'adapter ce qui est attendu de l'élève en fonction de ce qui peut être espéré d'un élève-type de ce territoire. Lors d'une interview récente sur BFM TV, la Ministre de l'Éducation a eu recours à un élément de langage nouveau: "les singularités territoriales ». Un élève du "département de la Normandie » (sic) ne sera pas intéressé par l'enseignement de l'Allemand par exemple. Parce qu'il en est éloigné. C'est une rupture d'égalité entre les enfants de France, à qui il sera donné selon la catégorie CSP de leurs parents. Et en effet, qu'est-ce qu'un élève de collège classé Réseau D'Education Prioritaire pourrait faire du Latin ? Il s'agit bien d'adapter l'offre éducative à la sociologie des habitants des territoires, on comprend alors pourquoi l'académie de Paris a pu elle, maintenir les classes bilangues. Contrairement à celle de Normandie. L'approche curriculaire permet de prétexter la construction de parcours individualisés et personnalisés, alors qu'il s'agit d'assigner à résidence les élèves dans un misérabilisme qui est devenu une marque de fabrique de ce gouvernement. On comprend qu'il soit à l'origine de l'idée de faire chanter un rappeur pour le centenaire de la bataille la plus meurtrière de la Grande Guerre, le jeune-type fantasmé est un auditeur d'Ado FM incapable de s'intéresser à autre chose. Abaissons nous, ne l'élevons surtout pas.
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1-http://www.lejdd.fr/Politique/Najat-Vallaud-Belkacem-Le-probleme-c-est-la-passivite-des-eleves-au-college-731592, NVB dans le JDD - 10 mai 2015
2- http://www.education.gouv.fr/archives/2012/refondonslecole/wp-content/uploads/2012/09/consulter_la_comparaison_internationale_sur_les_programmes1.pdf

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