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Publié le Jeudi 13 Novembre 2008 par MRC

Le regard de Barack Obama



Par Sami Naïr, secrétaire national du MRC aux Relations Internationales, 13 novembre 2008. Parmi tous les espoirs que fait naître la victoire d’Obama, il en est un qui mérite une particulière attention : c’est celui du regard qu’il va porter sur le monde et sur l’Amérique elle-même.


Depuis maintenant plusieurs années, l’Amérique officielle voit le monde à travers le prisme déformant du choc des civilisations. Politiquement, cette orientation se traduit par une conception outrancièrement simpliste et unilatérale des relations internationales. Enfermée dans une vision primaire de la « guerre contre le terrorisme », l’attitude de la diplomatie américaine à l’ONU tend à privilégier l’isolationnisme face à la stratégie coopérative des autres grandes nations, y compris de son alliée la Grande Bretagne. Malgré le remplacement de Donald Rumsfeld par Condolezza Rice, sur la plupart des grands sujets de civilisation, les USA se sont opposés au reste du monde : refus de prendre au sérieux le Protocole de Kyoto, accentuation de la course aux armements par la mise en place du bouclier antimissile, refus du contrôle des armes biologiques, poursuite des programmes nucléaires aux USA, délégitimation du rôle de l’ONU dans la gestion des conflits internationaux, absence de respect du droit international et bien d’autres sujets encore. Elaborée par les conseillers et ministres « néo-cons » de Bush, dont il faut ici rappeler les noms parce qu’ils résonneront comme la pire des calamités que l’histoire des Etats-Unis ait connue depuis longtemps - Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Paul Wolfovitz, Richard Perle, John Bolton, Zalmy Khalizad, James Woosley, Richard Armitage, Robert Zoellick, Elliot Abrahams, William Kristol, secondés par des idéologues du type de Paul Kegan et d’une pléiade de sous-fifres occupant des positions très importantes dans les grandes administrations américaines - cette conception agressive est entièrement fondée sur le paradigme de la « guerre préventive » face à un monde extérieur conçu comme foncièrement hostile.

Le manichéisme paranoïaque, caractéristique de l’idéologie d’extrême droite, entre le Bien et le Mal, l’Occident et ses ennemis, le Pur et l’Impur, s’est bien sûr focalisé en particulier sur l’Islam à partir du traumatisme crée par les attaques terroristes du 11 septembre. Il a fait un mal considérable au monde, tout en transformant l’Amérique en objet de haine. La vision occidentalo-centriste que l’on trouve chez Bush et ses sbires, reprise par certains de leurs alliés internationaux, a évidemment contribué à apporter de l’eau au moulin des fanatiques intégristes religieux de par le monde, ravis de voir que la politique américaine se plaçait sur le même terrain qu’eux pour faire des conflits d’intérêts et des légitimes revendications des peuples, des oppositions identitaires irréconciliables. Ce regard culturaliste, éthnocentriste et confessionnaliste, a structuré la stratégie américaine de l’époque Bush.

Barrak Obama, dés le début de sa campagne, a clairement manifesté son désir de s’opposer à cette vision. Il a opposé à l’idéologie imbécile de l’ « occidentalo-centrisme », le dialogue des cultures et des civilisations, le respect de la diversité du monde. Et c’est pourquoi l’une de ses premières décisions sera probablement d’adresser un message au monde islamique, pour bien marquer qu’il ne le confond pas avec le fanatisme intégriste des tueurs d’Al Qaida. Ce nouveau regard est indispensable. Et, si Obama tient ses promesses, il favorisera la libération d’immenses énergies d’espoir.

Mais plus fondamentalement encore, Obama va probablement contribuer à changer le regard des Américains sur eux-mêmes. Ceux qui croient que, premier président noir des USA, il va enfin mettre en place la politique « identitaire » dont aurait besoin l’Amérique pour apaiser superficiellement ses citoyens noirs, risquent de déchanter. En fait, tout son discours durant la campagne électorale a clairement montré qu’il ne voulait pas se laisser enfermer dans l’identitarisme de la « différence », si cher aux néoconservateurs et aux idéologues libéraux-libertaires qui les miment en croyant s’opposer à eux.

La posture « communautariste » que certains attendent de lui parce qu’il est noir, Obama sera obligé en réalité de la combattre, s’il veut construire le consensus national dont il a besoin pour affronter les immenses défis sociaux et économiques qui l’attendent. Son regard ne sera pas celui d’un homme politique qui joue avec les déterminations identitaires, mais celui d’un leader dont le rôle historique sera enfin de donner vie à une conception intégrative et citoyenne dans la nation américaine. Précisément parce qu’il refuse le préjugé de la couleur, il va s’efforcer d’être le représentant d’une nation réconciliée avec elle-même par-delà sa diversité ethnique.

On peut donc s’attendre à ce qu’il relance le projet de melting pot, profondément miné ces dernières années par la montée des identitarismes sur fond d’appauvrissement et d’exclusion d’une grande partie de la population noire. Et il y a également tout à parier que certains représentants de la communauté noire, dés lors que le nouveau président refusera clairement de se laisser enfermer dans le piège de la politique identitaire, se retrouveront face à lui.

C’est un grand moment de vérité pour l’Amérique. Car aussi paradoxal que cela paraisse, la question la plus importante à laquelle il devra faire face, c’est celle de l’intégration sociale et politique des Noirs américains qui, jusqu’à maintenant, avaient peu confiance dans un système politique symbolisant de fait de leur exclusion en raison de leur statut social et de la couleur de leur peau. Les Noirs américains se sont mobilisés en masse pour faire élire Obama. Mais lui, il sait qu’il ne peut répondre à cette attente seulement du point de vue des Noirs américains. En réalité, Barrak Obama sera le premier président américain qui devra tout faire pour ne pas être considéré comme un président communautaire ou de couleur. Vis-à-vis du reste du monde comme par rapport à sa propre société, il devra faire du dialogue pour l’appartenance commune à une même grande civilisation humaine, le creuset du dépassement des différences et des conflits. C’est pour lui le plus grand des défis.

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