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Publié le Jeudi 17 Avril 2014

L'imaginaire de gauche est-il détruit?



Tribune de Claude Nicolet, Secrétaire national du MRC et 1er secrétaire de la fédération du Nord, parue dans la rubrique Figarovox du Figaro.fr, mercredi 16 avril 2014.


Il faut regarder les choses en face, la défaite des élections municipales des 23 et 30 mars derniers est sans précédent. Ce n'est certes pas la première et la vie politique n'est pas avare de rebondissements, mais il faudrait être aveugle pour ne pas ressentir qu'il s'est passé quelque chose de particulier lors de ces deux week-ends.

L'effondrement est brutal et massif. Dans mon département, le Nord, les pertes sont très lourdes et doivent être regardées à la loupe. Il convient tout d'abord de souligner à quel point l'électorat populaire s'est abstenu ou a voté pour d'autres listes.

Dunkerque où nous perdons plus de 30 points, Roubaix où nous disparaissons dans un paysage politique balkanisé et communautarisé, Tourcoing qui cède face à un jeune loup de la droite dure synthèse des conservatismes issus des "manifestations pour tous", Maubeuge et le bassin de la Sambre ravagés par la crise industrielle, sans parler de tous les autres...

Ce qu'il y a d'exceptionnel, au delà de l'ampleur du recul, c'est l'accroissement de celui-ci entre les deux tours. C'est là le plus inquiétant car il faut y voir un rejet qui porte en lui l'indication de "la sortie c'est par là" que nous signifierait le corps électoral. La gauche dans son ensemble se voit-elle signifier sa sortie de l'histoire? La question est aujourd'hui clairement posée selon moi.

Si Lille résiste, il n'en sera pas de même de la Communauté Urbaine, ce qui traduit les grandes difficultés politiques, sociologiques, économiques et sociales qui existent entre les centres urbains (dans les métropoles) et leur périphérie. Autrement dit les territoires connectés à la mondialisation, ne produisent plus forcément de la croissance et du développement pour les autres collectivités qui leurs sont directement liées. On peut craindre que la machine à fragmentation ne fonctionne maintenant à plein! Or c'est notamment ce qui avait fait le succès du "socialisme municipal", c'est à dire cette capacité à mettre en lien et en mouvement les collectivités locales. C'était une vraie capacité de résistance, mais la mondialisation libérale nous a rattrapé et ses effets ne peuvent plus être masqués par le talent des élus locaux.

Toute la gauche française et pas uniquement le PS, est aujourd'hui confrontée à une interrogation que je n'hésite pas à qualifier d'existentielle.

Je suis de ceux qui pense que nous n'avons pas suffisamment réfléchi et pensé ce qui se passait dans la droite française, lié au profond sentiment d'angoisse, de peur, d'insécurité culturelle et identitaire que traverse notre pays depuis longtemps. Il est incontestable à mes yeux que se substrat est la base d'une profonde réorganisation idéologique des droites en France.

Cette angoisse identitaire profonde, qui est la conjonction d'une veille angoisse française issue du traumatisme de mai-juin 40 (qui pose la question nationale) et du choc de la globalisation (qui pose la question sociale), permet une reconfiguration, voire une synthèse qui fait naître sous nos yeux une grande force très conservatrice dont l'alchimie s'est faite à l'occasion des"manifestations pour tous" lors du débat sur le mariage homosexuel et très libérale sur le plan économique.

Cette synthèse s'opère par l'intermédaire de milieux religieux eux aussi très conservateurs voire intégristes, qu'ils soient catholiques ou non. Dans ce contexte délétère, le FN qui est en stratégie de conquête du pouvoir veut préempter la discours républicain et l'identité nationale qui lui est consubstantielle, d'où un certain éloignement de Marine Le Pen avec les milieux ultra-catholiques et l'enjeu idéologique qui en découle dans la refondation des droites.

Face à cela, la gauche se montre incapable d'offrir une perspective politique s'appuyant sur un projet et surtout sur une vision d'avenir et un discours sur la France. Elle se laisse littéralement dépouiller de son histoire et de son identité. Alors que nous devrions à toutes forces réinvestir le discours républicain, réinvestir l'idée que nous nous faisons de la Nation, de la Citoyenneté, de la Laïcité, de la vocation universelle de la France, nous ne donnons que le visage d'un pays allant quémander un "délai" à Bruxelles, avec en contre-partie une diminution permanente des services publics de notre système de protection sociale et de projet de disparition du SMIC...Comment pour celles et ceux qui n'ont que leur travail (sans parler de ceux qui n'en ont pas), ne pas être perclus d'angoisses?

Il ne faut pas se faire d'illusion, bien des Français ressentent cela comme une humiliation permanente. Face aux paniques morales très bien décrites par Gaël Brustier, face au déclassement analysé par Camille Peugny, la gauche française se brise sur les réalités qui font exploser notre électorat. Ce qui faisait l'imginaire de la gauche dans son ensemble, ne cesse de se heurter à l'amoncellement des contradictions et des difficultés de la vie quotidienne.

Le projet républicain, libérateur et émancipateur meurent dans les sables mouvants de la globalisation financière et libérale dont l'Europe est chaque jour davantage vécue comme le relai le plus efficace. Or nos concitoyens, surtout les plus exposés ont désormais bien compris que c'était désormais le règne de la concurrence de tous contre tous. Qu'ils en seraient nécessairement les perdants. Dans ces conditions les postures purement morales de "bonne conscience de gauche",essentiellement sociétales, sont non seulement inaudibles, mais sont l'objet d'un véritable rejet. Ce rejet se mesure dans l'abstention, et vers le vote d'une partie de l'UMP ou vers le Front national.

En 2011, Jean-Pierre Chevènement avait écrit un livre remarquable: la France est-elle finie? puis cette année 1914-2014: l'Europe sortie de l'Histoire? Je ne saurai trop recommander la lecture de ces deux ouvrages ainsi que celui que vient d'écrire Hubert Védrine La France au défi car ces hommes posent les vraies questions, celles de la réalité des enjeux auxquels nous sommes véritablement confrontés, les vrais clivages qui sont désormais devant nous.

En ce qui me concerne, je suis persuadé que nous avons changé de planète, nous avons changé de monde. Or pour comprendre ce monde qui vient il nous faut abandonner les anciennes grilles de lectures et les anciennes lunettes pour le comprendre et pour le voir.

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Source : Le Figaro

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